L'ART-THÉRAPIE I

L'art qui guérit de Pierre Lemarquis

“Un jour on saura peut-être qu’il n’y avait pas d’art. Mais seulement de la médecine.”

J.M.G LE CLÉZIO

 

Dans les années 1970, le futur prix Nobel de littérature J.M.G. Le Clézio, fuyant la vie agressive des grandes villes à la recherche de quelque chose ou de quelqu’un qui le libérerait de ses obsessions et lui permettrait de trouver une paix intérieure, décida d’aller partager l’existence d’une communauté d’Indiens du Panama. 

Après quelques mois au coeur de la forêt amazonienne, où il s’était imprégné de la culture de ses nouveaux amis, il se sentit profondément transformé, tant dans ses idées sur le monde et sur l’art que dans sa façon d’être avec les autres, de marcher, de manger, d’aimer, de dormir et même jusqu’à rêver. 

Il ne pensait pas rencontrer dans la forêt “l’art” tel qu’on le conçoit dans nos société de consommation.

En guise de tableaux, il a vu les peintures corporelles, les arcs de palmes, les guirlandes de plantes parfumées, les statues et les panneaux de bois de balsa où sont peintes les effigies des esprits, les bâtons magiques sculptés. 

Avec ses hôtes, il a découvert les mythes de la forêt, le soir autour d’un feu, environné du ballet des moustiques et des papillons.

Chantant d’une voix aiguë, le regard exalté, les conteuses et les conteurs rythmaient le récit en se martelant la poitrine ou en frappant leurs colliers du plat de la main, accompagnés par le cri des flûtes à son unique, chacun s’appelant et se répondant, comme le font les grenouilles. 

Pour le Clézio, qui le rappellera dans son discours de Stockholm “Dans la forêt des paradoxes” en 2008, lors de sa réception du prix Nobel de littérature, ces fêtes chantées, par leur perfection formelle et leur puissance expressive, étaient l’endroit du monde où l’art se manifestait avec le plus de force et d’authenticité. 

 

“La raison d’être n’était pas seulement curative, mais aussi la recherche d’un équilibre perdu, d’une vérité universelle.”

Si la cérémonie du Kakwa Haï (le Corps Esprit) pouvait chasser les démons maléfiques, c’est pourtant le visage rayonnant d’une jeune femme en phase terminale d’une implacable maladie que Le Clézio a retenu en premier. 

Ramenée auprès des siens après l’échec des traitements hospitaliers, “ses yeux agrandis par le jeûne brillaient d’une lumière exceptionnelle” à l’écoute d’un conteur. 

Il déclarera : “ Un jour, on saura peut-être qu’il n’y avait pas d’art, mais seulement de la médecine”.

QUAND L’ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTÉ CONFIRME L’INTUITION DE LE CLÉZIO

Le rapport de l’OMS du 11 novembre 2019 confirme l’intuition de l’écrivain, l’art peut être bénéfique pour la santé, tant physique que mentale :

“Les interventions artistiques (...) sont considérées comme des démarches non invasives à faible risque. 

Les États membres ont de plus en plus recours à de telles interventions afin de complémenter les traitements biomédicaux plus traditionnels.

Les données probantes résumées dans le rapport serviront à émettre des propositions en vue d’intégrer les secteurs des arts, des services sociaux et de la santé et, ainsi, de garantir santé et bien-être tout au long de la vie et du continuum des soins. 

L’OMS / Europe et les États membres de la Région européenne reconnaissent le rôle important de la culture dans le développement de la santé et du bien-être au cours de l’existence. 

Le projet sur les contextes culturels de la santé et du bien-être est une initiative transversale de l’OMS, qui, à l’aide d’une approche systématique, cherche à comprendre comment la culture influence les perceptions et l’expérience de la santé et du bien-être, ainsi que l’accès à ces derniers.”

Le rapport de l’OMS repose sur l’analyse de plus de neuf cents publications scientifiques abordant aussi bien la musique et les arts de la scène que les arts visuels, la littérature, la culture en général, y compris informatique.

Il montre que les arts apportent une aide psychologique, mais aussi physiologique, sociale et comportementale, en procurant une sensation de bien-être. 

Ils activent les sens, stimulent l’imagination, les émotions et les fonctions intellectuelles, améliorent les interactions sociales et, pour certains, l’activité physique. 

Ils permettent d’envisager la santé et le bien-être dans un contexte sociétal et communautaire élargi, ils proposent des solutions là où la pratique médicale classique n’a pu apporter de réponse efficace. 

Leur influence est positive tout au long de la vie, qu’il s’agisse des histoires racontées le soir aux enfants, auxquels elles assurent un meilleur sommeil et une plus grande concentration le lendemain, ou des activités artistiques pratiquées en groupe, qui renforcent la cohésion sociale et canalisent la violence des adolescents, sans oublier la musique, bénéfique pour les capacités intellectuelles des aînés. 

Les arts constituent un complément aux soins habituels, dont ils améliorent l’efficacité. 

Ils diminuent les effets secondaires parfois plus probants que les traitements usuels, par exemple dans la maladie d’Alzheimer. 

Les arts concourent à la cohésion sociale et peuvent aider à réduire les inégalités :

“ Racisme, féminisme, démocratie, liberté, le rôle d’un musée est de nous amener de manière très pacifique, très empathique, très bienveillante et rassembleuse, à nous interroger, nous rencontrer sur des sujets délicats, parfois difficiles”, explique Nathalie Bondil, l’ex-directrice du musée des Beaux-Arts de Montréal, qui souhaite faire entrer l’art dans la vie”. 

Les arts participent au développement de l’enfant en renforçant les liens mère-enfant et en soutenant l’acquisition du langage. 

Ils contribuent à prévenir les problèmes de santé, notamment en améliorant le bien-être et en réduisant l’impact des traumatismes, et à retarder le déclin intellectuel. 

Leur intérêt thérapeutique est reconnu pour les maladies mentales, les affections psychosomatiques et les suites de traumatismes, psychologiques ou autres.

Ils accompagnent utilement les soins aux personnes qui souffrent de maladies aiguës, notamment les patients hospitalisés, y compris en soins intensifs ; ils aident les personnes atteintes d’autisme, les victimes d’accidents vasculaires cérébraux, les malades souffrant de troubles neurologiques dégénératifs comme la maladie de Parkinson ou les démences. 

Ils contribuent au traitement des maladies non transmissibles telles que le cancer, les maladies pulmonaires, le diabète et les affections cardiovasculaires ; ils soutiennent les soins de fin de vie, y compris les soins palliatifs, et peuvent être d’un grand secours pour le travail de deuil. 

L’OMS souhaite donc que se multiplient les projets associant médecine et arts :

“ En complétant les données quantitatives par des données de la recherche qualitative en sciences sociales ainsi que dans le domaine plus général des sciences humaines appliquées à la santé, le projet peut améliorer notre compréhension des besoins, des valeurs, des perceptions et de l’expérience des individus dans le monde qui les entoure afin d’améliorer la santé et le bien-être de tous.”

Ces constatations sur les effets bénéfiques des arts remontent à une Antiquité fort ancienne. 

Aristote déjà parlait à leur sujet de “catharsis”.

Pour lui, le spectateur d’une pièce de théâtre ressent intimement les émotions incarnées par les acteurs. 

Ces derniers nous entraînent dans des zones inexplorées de notre psychisme, élargissant notre vision intérieure mais également la représentation que nous nous faisons du monde. 

Ils nous transforment, de façon parfois profonde, et parviennent à nous guérir. 

Il en est de même de toute activité artistique, voire de toute interaction avec le monde qui nous entoure. 

QUELQUES PISTES EN NEUROSCIENCES

Notre cerveau sert à nous maintenir en vie. 

On peut très schématiquement le diviser en deux. 

Sa partie arrière capte les informations venues du monde qui nous entoure, apportées par les sens, en particulier la vue, l’audition, le toucher. 

Ces informations sont analysées par nos systèmes de mémoire, qui programment la réponse adaptée en fonction de notre expérience.

Celle-ci sera élaborée dans la partie située en avant, notre beau lobe frontal, qui s’est hypertrophié avec l’évolution et nous permet de bouger et d’agir sur le monde. 

Il n’est donc pas étonnant, ainsi, que l’on décrypte le langage dans la partie arrière du cerveau (informations) et que l’on parle avec le bore frontal (action), notre voix portant en général plus loin que nos bras. 

Une oeuvre d’art visuel va donc activer en toute logique la partie postérieure de notre encéphale, celle qui décode les informations transmises par les yeux, forme, orientation, couleurs…, aussitôt relayées par notre mémoire, qui tente de rattacher l’oeuvre en question à des choses connues. 

C’est une des raisons qui nous font voir des visages ou des formes animales, par exemple, dans les nuages ou dans les rochers, où l’on commence généralement par rechercher des yeux qui nous observeraient, nous permettant d’en dégager des intentions ou de communiquer avec eux. 

Parce qu’il a poussé plus vite que la boîte crânienne qui le contient, notre cerveau est plissé pour mieux remplir l’espace dont il dispose. 

Il ressemble à une noix. 

Sa partie droite, qui a une vision globale des choses, est parfois comparée au Che Guevara : révolutionnaire, elle veut aller de l’avant.

La gauche, qui contient le langage, les mathématiques, la lecture, l’est volontiers à Margaret Thatcher, la “Dame de fer”, pour son pragmatisme. 

Son désir d’interprétation lui fait voir des constellations parmi les étoiles, et des triangles qui n’existent pas, comme dans la figure de Kanizsa. 

Bien qu’il n’ait pas de contour tracé, vous percevez le triangle central pointé vers le haut. 

De même, vous aurez tendance à compléter une oeuvre incomplète, comme souvent les sculptures de Michel-Ange ou de Rodin, ou à déchiffrer un flou artistique, comme dans un tableau impressionniste ou une toile de Turner. 

Devant un tableau abstrait, par exemple une toile de Fontana, votre lobe frontal refera mentalement les gestes du peintre, les coups de cutter qui ont lacéré la toile. 

Notre cerveau possède des neurones “miroirs” qui reproduisent les gestes entrevus et permettent l’apprentissage. 

En revanche, devant une toile figurative telle que la Joconde, votre cerveau activera une zone située en avant de celles dédiées à la vision et qui normalement n’est impliqué que dans les interactions avec une entité biologique, une personne vivante en particulier. 

Aussi votre cerveau se comporte-t-il comme si vous étiez en interaction avec la vraie Mona Lisa, en chair et en os. 

Une oeuvre d’art est donc pour notre cerveau l’équivalent d’une personne vivante avec laquelle il est possible d’interagir ! 

À l’inverse, ne serions-nous pas des oeuvres d’art, ainsi que le pensaient certains philosophes intéressés par les “phénomènes” qui gouvernent les activités humaines ? 

Maurice Merleau-Ponty, dans sa Phénoménologie de la perception, écrit par exemple : “un roman, un poème, un tableau, un morceau de musique, sont des individus (...) dont le sens n’est accessible que par un contact direct et qui rayonnent leur signification (...). C’est en ce sens que notre corps est comparable à l’oeuvre d’art”

L’ART SCULPTE ET CARESSE NOTRE CERVEAU

Notre cerveau comporte une partie élaborée, dédiée à Apollon, qui nous permet de rester en vie. 

C’est celle que nous venons d’emprunter et qui rappelle la phrase inscrite sur le tableau de Titien, Allégorie de la Prudence, sur les âges de la vie illustrant la vertu de la prudence : informé du passé, le présent agit avec prudence pour ne pas avoir à rougir de ses actions dans le futur. 

C’est cette voie qui nous permet d’adapter nos actions en fonction des messages que le monde nous transmet. 

Rester vivant, certes, encore faut-il en avoir envie !

Un ordinateur sophistiqué pourrait remplacer ces circuits très pragmatiques que nous venons d’évoquer, mais d’autres, plus anciens et également fondamentaux, sont dédiés à Bacchus : ce sont ceux du plaisir et de la récompense, nichés dans les profondeurs du cerveau, et qui nous donnent le goût de vivre !

Ils secrètent en particulier de la dopamine. Impliquée dans les mouvements, cette molécule, déficitaire chez les personnes atteintes de la maladie de Parkinson, restaure l’élan vital et son rôle dans les processus créatifs est fort probable. 

La sérotonine, aux vertus antidépressives, et les endorphines, qui nous bercent et soulagent nos douleurs, comme le font la morphine, l’adrénaline et la cortisone, peuvent être activées et stimulées de façon à produire un effet tonifiant, ou au contraire freinées et avoir dès lors une action relaxante. 

Quant à l’ocytocine, elle est impliquée dans l’amour et le rattachement. 

Ce système est celui sur lequel agissent les drogues et les addictions, mais il ne faut pas abuser des bonnes choses !

L’art sculpte donc notre cerveau en modifiant son fonctionnement. 

Renforçant les circuits appropriés de cellules nerveuses pour nous permettre d’admirer ou de créer une œuvre, il le caresse également en stimulant le système du plaisir. 

Avec les neurones miroirs, nous nous adaptons à l’oeuvre avec laquelle nous interagissons et à laquelle dans une certaines mesures nous nous identifions, cependant que grâce à un circuit connecté aux émotions et au système du plaisir, nous finissons par la ressentir de l’intérieur : c’est ce que l’on appelle l’empathie esthétique. 

Tout se passe comme si l’esprit du créateur de l’oeuvre entrait en nous et s’y incarnait, nous transformant, nous métamorphosant. 

L’oeuvre peut donc constituer un tuteur de résilience, nous prendre par la main et nous guérir d’un traumatisme en élargissant notre point de vue, en nous faisant sortir de notre cage. 

 

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