L'ACCOMPAGNEMENT DE FIN DE VIE II

LE PROCESSUS DE LA MORT

Selon les paroles de Padmasambhava : 

La mort à laquelle les êtres humains sont confrontés peut avoir deux causes : une mort prématurée ou une mort due à l’épuisement de la durée naturelle de la vie. La mort prématurée peut être évitée grâce aux méthodes que l’on enseigne pour prolonger l’existence. Cependant, lorsque la cause de la mort résulte de l’épuisement de la durée naturelle de la vie, l’être humain est semblable à une lampe à huile qui aurait consumé toute sa réserve. Il n’y a alors plus aucun moyen de tricher pour se dérober à la mort. Il faut se préparer à partir. 

Examinons à présent les deux causes pouvant entraîner la mort : l’épuisement de la durée naturelle de la vie, et le cas où un obstacle ou un accident met prématurément fin à notre existence. 

 

L’ÉPUISEMENT DE LA DURÉE DE LA VIE

De par notre karma, nous disposons d’une certaine durée de vie.

Lorsque celle-ci est arrivée à son terme, il est extrêmement difficile de la prolonger.

Cependant, une personne qui a totalement maîtrisé les pratiques avancées de yoga peut dépasser même cette limite.

Il existe une tradition selon laquelle les maîtres apprennent parfois leur durée de vie de la bouche de leurs propres maîtres.

Ils savent toutefois que par la force de leur pratique personnelle, la pureté du lien qui les unit à leurs étudiants et la pratique de ces derniers, ainsi que par les bienfaits de leur travail, ils pourront vivre plus longtemps.

Mon maître avait dit à Dilgo Khyentsé Rinpoché qu’il vivrait jusqu’à quatre-vingts ans, mais que dépasser cet âge dépendait de sa propre pratique : il atteignit sa quatre-vingt-deuxième année.

On avait prédit à Dudjom Rinpoché que sa durée de vie serait de soixante-treize ans, il vécut pourtant jusqu’à l’âge de quatre-vingt-deux ans. 

 

LA MORT PRÉMATURÉE

Il est dit, d’autre part, que si la menace de mort prématurée est seulement due à un obstacle quelconque, elle peut être évitée plus aisément - à une condition, bien sûr, que nous en ayons une connaissance préalable. Dans les enseignements sur les bardos et dans les textes médicaux tibétains, on peut trouver la description des signes annonciateurs d’une mort prochaine : certains prédisent la mort en termes d’années ou de mois, d’autres en termes de semaines ou de jours. Ces signes comprennent des signes physiques, certains types spécifiques de rêves ainsi que des études particulières portant sur l’ombre de l’individu. Malheureusement, seule une personne très expérimentée sera capable de les interpréter. Ils ont pour but d’avertir l’individu que sa vie est en danger et de lui faire prendre conscience de la nécessité d’effectuer des pratiques destinées à prolonger l’existence, avant que ces obstacles ne surgissent. 

Du fait qu’elle accumule du “mérite”, toute pratique spirituelle que nous effectuons nous aide à prolonger notre vie et à jouir d’une bonne santé. Grâce à l’inspiration et au pouvoir de sa pratique, un bon pratiquant en vient à se sentir “sain” sur les plans psychologique, émotionnel et spirituel, ce qui constitue à la fois la plus grande source de guérison et la protection la plus puissante contre la maladie. 

Il existe également des “pratiques de longue vie” spécifiques qui font appel aux énergies vitales des éléments et de l’univers par le pouvoir de la méditation et de la visualisation. Lorsque notre énergie est faible et déséquilibrée, ces pratiques de longévité la fortifient et l’harmonisent et cela a pour effet de prolonger l’existence. Il y a encore bien d’autres pratiques pour accroître la durée de la vie. L’un d’elles consiste à sauver des animaux sur le point d’être abattus, en les achetant et en leur rendant la liberté. Cette pratique est populaire au Tibet et dans les régions himalayennes où il est par exemple fréquent que les gens se rendent au marché afin d’acheter des poissons vivants pour les relâcher ensuite. Cette pratique est fondée sur la loi karmique naturelle selon laquelle prendre la vie d’autrui ou lui faire du tort écourtera votre existence, tandis que lui sauver la vie la prolongera. 

 

LE BARDO “DOULOUREUX” DU MOMENT PRÉCÉDANT LA MORT

Le bardo du moment précédant la mort se situe entre le moment où nous contractons une maladie incurable ou entrons dans un état physique qui s’achèvera par la mort, et la cessation du “souffle interne”. On le qualifie de “douloureux” car, si nous ne sommes pas préparés à ce qui nous arrivera au moment de la mort, nous ferons peut-être l’expérience d’une souffrance extrême. 

Même dans le cas d’un pratiquant, il est possible que tout le processus de la mort soit douloureux, car perdre son corps et sa vie peut s’avérer une expérience très difficile. Pourtant, si nous avons reçu des instructions sur la signification de la mort, nous savons qu’il existe un espoir immense lorsque l’aube de la Luminosité fondamentale se lève à ce moment ultime. Il n’est pas certain, toutefois, que nous sachions alors la reconnaître. C’est pourquoi il est si important de stabiliser la reconnaissance de la nature de l’esprit par la pratique tant que nous sommes encore en vie. 

Beaucoup d’entre nous, il est vrai, n’ont pas eu la chance de rencontrer les enseignements et n’ont aucune idée de ce qu’est réellement la mort. Prendre soudain conscience que notre vie entière, notre réalité entière, est en train de disparaître, est une chose terrifiante. Nous ne savons ni ce qui nous arrive ni où nous allons. Rien de ce que nous avons vécu précédemment ne nous a préparés à cela. Comme le savent tous ceux qui ont assisté les mourants, notre angoisse intensifie encore l’expérience de la douleur physique. Si nous avons mal employé notre vie, si nos actions ont été nuisibles ou négatives, nous éprouverons regret, culpabilité et peur. Aussi le simple fait d’avoir une certaine connaissance des enseignements sur les bardos nous apportera-t-il réconfort, inspiration et espoir, même si nous n’avons jamais pratiqué ni réalisé ces enseignements auparavant. 

Pour de bons pratiquants qui savent exactement ce qui est en train de se passer, la mort non seulement est moins douloureuse et terrifiante, mais représente le moment même qu’ils ont tant attendu. Ils l'accueillent avec équanimité, voire avec joie. Je me souviens d’une histoire que Dudjom Rinpoché racontait souvent, celle de la mort d’un yogi parvenu à la réalisation. Ce dernier était malade depuis quelques jours déjà lorsque le docteur venu prendre son pouls décela les signes de la mort. Hésitant à le lui dire, le visage assombri, le médecin restait debout près du lit, l’air grave et solennel. Pourtant le yogi, avec un enthousiasme presque enfantin, insistait pour qu’on lui annonce le pire. Le docteur finit par céder, tout en s’efforçant de lui parler comme s’il cherchait à le consoler. Il lui dit gravement : “ Faites attention, le moment est venu”. A sa stupéfaction, le yogi fut enchanté, se montrant aussi excité qu’un petit enfant sur le point d’ouvrir son cadeau de Noël. “Est-ce bien vrai ? demanda-t-il. Que ces paroles sont douces ! Quelle bonne nouvelle !” Il dirigea son regard vers le ciel et expira immédiatement dans un état de profonde méditation. 

Chacun savait au Tibet que mourir d’une mort spectaculaire était un moyen d’accéder à la notoriété, si l’on n’y était pas déjà parvenu au cours de sa vie. J’ai entendu parler d’un homme qui était décidé à mourir de façon miraculeuse et grandiose. Il savait que les maîtres annoncent souvent la date de leur mort et rassemblent leurs disciples afin qu’ils soient présents à ce moment particulier. L’homme en question réunit donc tous ses amis pour un grand festin autour de son lit de mort. Il s’assit en posture de méditation, attendant sa fin - mais rien ne se passa. Au bout de quelques heures, ses invités commencèrent à se lasser d’attendre et se dirent l’un à l’autre : “ Commençons plutôt à manger !” Emplissant leurs assiettes, ils regardaient du côté du futur cadavre en se disant : “Lui est en train de mourir, il n’a pas besoin de manger !” Mais le temps passait et il n’y avait toujours aucun signe d’agonie. Le “mourant” commença alors à avoir lui-même très faim et l’idée qu’il ne resterait bientôt plus rien à manger l’inquiéta. Il descendit donc de son lit de mort pour se joindre au festin. Ainsi, sa grande scène finale s’était transformée en un fiasco humiliant. 

Un bon pratiquant saura prendre soin de lui-même au moment de la mort. Quant au pratiquant ordinaire, il aura besoin de la présence du maître à son chevet, si cela est possible ; sinon, de celle d’un ami spirituel qui pourra lui rappeler l’essence de la pratique et susciter en lui l’inspiration de la Vue. 

Qui que nous soyons, être familiarisés avec le processus de la mort peut nous être d’un grand secours. Si nous en comprenons les différentes étapes, nous savons que toutes les expériences étranges et déroutants que nous traversons alors font partie d’un processus naturel. Le début de ce processus annonce l’imminence de la mort et nous rappelle à la vigilance. Pour un pratiquant, chacune des étapes est comme un signal destiné à lui rappeler ce qui est en train de se passer et quelle pratique il doit faire à ce moment précis. 

 

LE PROCESSUS DE LA MORT

Le processus de la mort est expliqué en grand détail dans les différents enseignements tibétains. Il consiste essentiellement en deux phases de dissolution : une dissolution externe des sens et des éléments, et une dissolution interne des états de pensée et des émotions, à leurs niveaux grossier et subtil. Mais il est nécessaire que nous comprenions au préalable la nature des composants du corps et de l’esprit qui se désagrègent au moment de la mort. 

Notre existence entière est déterminée par les éléments terre, eau, feu, air et espace, qui forment notre corps et le maintiennent en vie. Lorsqu’ils se dissolvent, nous mourons. Nous sommes familiarisés avec les éléments externes qui conditionnent notre mode de vie, mais il est intéressant de voir de quelle façon ces éléments sont en interaction avec les éléments internes au sein de notre corps physique. Par ailleurs, le potentiel et les qualités de ces cinq éléments existent également dans notre esprit. L’aptitude de l’esprit à servir de support à toutes les expériences est la qualité de la terre ; sa continuité et sa faculté d’adaptation sont celles de l’eau ; sa clarté et sa capacité de percevoir celles du feu ; son mouvement continuel celle de l’air, et sa vacuité sans limite celle de l’espace. 

Voici l’explication, selon un ancien texte médical tibétain, de la façon dont se forme notre corps physique : 

Les consciences sensorielles naissent de l’esprit. La chair, les os, l’organe de l’odorat et les odeurs sont formés à partir de l’élément terre. Le sang, l’organe du goût, les saveurs et les liquides du corps naissent de l’élément eau. La chaleur, la coloration claire, l'organe de la vue et la forme naissent de l’élément feu. Le souffle, l’organe du toucher et les sensations physiques sont formés à partir de l’élément air. Les cavités du corps, l’organe de l’ouïe et les sons sont formés à partir de l’élément espace. 

“En bref, écrit Kalou Rinpoché, c’est à partir de l’esprit réunissant les cinq qualités élémentaires que se développe le corps physique. Le corps physique est lui-même imprégné de ces qualités, et c’est grâce à ce complexe esprit-corps que nous percevons le monde extérieur. Celui-ci est, en retour, composé des cinq qualités élémentaires de la terre, de l’eau, du feu, de l’air et de l’espace.”

L’explication du corps que nous propose la tradition du bouddhisme tantrique du Tibet est très différente de celle dont la plupart d’entre nous ont l’habitude. Il s’agit d’un système psychophysique consistant en un réseau dynamique de canaux subtils, de “souffles” - ou air intérieur - et d’essences. Ils sont appelés respectivement nadi, prana et bindu en sanscrit ; tsa, lung et tiglé en tibétain. La médecine et l’acupuncture chinoise, qui nous sont plus familières, présentent un système quelque peu similaire avec les méridiens et l’énergie du ki. 

Les maîtres comparent le corps humain à une cité,les canaux à des routes, les souffles à un cheval et l’esprit à un cavalier. Il existe dans le corps 72 000 canaux subtils, dont trois principaux : le canal central qui est parallèle à la colonne vertébrale, et les canaux droit et gauche qui se trouvent de chaque côté de celle-ci. Les canaux droit et gauche s’enroulent autour du canal central en certains points pour former une série de nœuds. Le long du canal central se situent plusieurs “roues” - les chakras ou centres d’énergie - à partir desquelles se ramifient d’autres canaux, comme les baleines d’un parapluie. 

Les souffles, ou air intérieur, circulent à travers ces canaux. Il existe cinq souffles principaux et cinq souffles secondaires. Chaque souffle principal est le support d’un élément et il est responsable d’une fonction du corps humain. Les souffles secondaires permettent aux sens d’opérer. Les souffles qui circulent dans tous les canaux, à l’exception du canal central, sont dits être impurs et activer des schémas de pensée négatifs et dualistes. Ceux du canal central sont appelés “souffles de sagesse”.

Les “essences” sont contenues à l’intérieur des canaux. Il existe une essence rouge et une essence blanche. Le siège principal de l’essence blanche est le sommet du crâne, celui de l’essence rouge, le nombril. 

Dans la pratique avancée du yoga, ce système est visualisé très précisément par le pratiquant. En faisant pénétrer et se dissoudre les souffles dans le canal central par la force de sa méditation, le yogi peut obtenir une réalisation directe de la luminosité - la Claire Lumière - de la nature de l’esprit. Ceci est rendu possible par le fait que la conscience chevauche le souffle. Ainsi, en dirigeant son esprit vers un point particulier du corps, un pratiquant peut y amener les souffles. Le yogi imite, de cette façon, ce qui se produit au moment de la mort : lorsque les noeuds des canaux se défont, les souffles pénètrent dans le canal central et une expérience momentanée d’éveil a lieu. 

Dilgo Khyentsé Rinpoché raconte l’histoire d’un maître de retraite proche de son frère aîné, qui vivait dans un monastère du Kham. Le maître avait parfait la pratique yogique des canaux, souffles et essences. Il déclara un jour à son serviteur : “Le moment est venu pour moi de mourir. Pourrais-tu chercher une date favorable dans le calendrier ?” Le serviteur fut abasourdi, mais n’osa contredire son maître. Il consulta le calendrier et répondit que, le lundi suivant, tous les astres étaient favorables. Le maître dit alors : “ Il reste trois jours jusqu’à lundi ; bon, je pense que je pourrai y parvenir.” Quand le serviteur revint dans la pièce quelques instants plus tard, il trouva son maître assis, droit, en posture de méditation yogique. Il était si immobile qu’il paraissait mort. Il ne respirait pas, mais son pouls était légèrement perceptible. Le serviteur décida de ne rien faire et d’attendre. A midi, il entendit soudain une profonde expiration et le maître revint à son état normal, parla joyeusement au serviteur et demanda son déjeuner qu’il mangea avec appétit. Il avait retenu son souffle pendant toute la session de médiation du matin. Voici la raison de son attitude : notre vie compte un nombre limité de respirations et le maître, sachant qu’il était presque arrivé à leur terme, les avait retenues pour que le nombre final ne soit pas atteint avant le jour favorable. Aussitôt après le déjeuner, il prit à nouveau une profonde inspiration et retint sa respiration jusqu’au soir. Il fit de même le lendemain et le surlendemain. Lorsque le lundi arriva, il demanda : “Est-ce bien aujourd’hui le jour favorable ?” “Oui”, lui répondit le serviteur. “Très bien, je vais donc m’en aller aujourd’hui”, conclut le maître. Ce jour-là, sans présenter aucun signe de maladie ni aucun trouble, le maître expira durant sa méditation. 

Dès que nous avons un corps physique, nous possédons également ce que l’on appelle les cinq skandhas - les agrégats qui composent la totalité de notre existence mentale et physique. Ils sont les constituants de notre expérience, le support de la saisie de l’ego et également la base de la souffrance du samsara. Ces skandhas sont la forme, la sensation, la perception ou reconnaissance, l’intellect ou formations mentales, et la conscience ; on les décrit aussi en termes de forme, sensation, reconnaissance, formation mentale et conscience. “Les cinq skandhas représentent la structure constante de la psychologie humaine, ainsi que son schéma d'évolution et le schéma d’évolution du monde. Ils sont également liés aux différents types de blocages spirituels, physiques et affectifs.” Ils font l’objet d’une étude approfondie dans la psychologie bouddhiste. 

Tous ces composants se dissolvent quand nous mourons. La mort est un processus complexe et interdépendant au cours duquel des ensembles d’aspects reliés entre eux de notre corps et de notre esprit se désagrègent simultanément. Lorsque les souffles disparaissent, nos fonctions corporelles et nos sens nous abandonnent. Les centres d’énergies s’effondrent et, privés des souffles qui leur servaient de support, les éléments se dissolvent l’un après l’autre, du plus grossier au plus subtil. En conséquence, chaque étape de la dissolution a des répercussions physiques et psychologiques sur la personne mourante et se manifeste tant par des signes extérieurs et physiques que par des expériences intérieures. 

Des amis me demandent parfois : “Des gens comme nous peuvent-ils reconnaître ces signes extérieurs chez un ami ou un proche sur le point de mourir ?” Ceux de mes étudiants qui assistent les mourants m’ont dit que certains des signes physiques décrits plus loin peuvent être observés dans les hôpitaux et les centres de soins palliatifs. Cependant, les étapes de la dissolution externe peuvent se produire très rapidement et ne pas être très évidentes, et le personnel soignant qui s'occupent des mourants dans notre monde moderne ne cherche généralement pas à les détecter. Les infirmières, dans les grands hôpitaux, se fient souvent à leur intuition et à de nombreux autres facteurs tels que le comportement des médecins ou celui des membres de la famille, ou encore l’état d’esprit du mourant, pour prédire l’imminence de la mort. Elles observent également, bie que cela ne soit pas systématique, certains signes physiques comme un changement de coloration de la peau, une certaine odeur qu’elles discernent parfois et une modification notable de la respiration. Il est très possible, cependant, que la médication moderne masque les signes décrits dans les enseignements tibétains. Il est surprenant de constater le peu de recherches menées jusqu’à présent en Occident sur ce sujet capital. Cela ne montre-t-il pas combien le processus de la mort est peu compris, combien il est peu respecté ?

 

LA POSITION POUR MOURIR

La tradition recommande généralement de s’allonger sur le côté droit pour mourir, dans la position du “lion couché”. C’est la posture dans laquelle le Bouddha expira. La main gauche repose sur la cuisse gauche ; la main droite est placée sous le menton, fermant la narine droite. Les jambes sont étendues et très légèrement repliées. Sur le côté droit du corps se trouvent certains canaux subtils qui encourageant le “souffle karmique” de l’illusion. Le fait d’être allongé sur eux dans la position du lion couché et de fermer la narine droite bloque ces canaux et permet à la personne de reconnaître plus aisément la luminosité lorsqu’elle apparaît au moment de la mort. Cela aide également la conscience à quitter le corps par l’ouverture située au sommet du crâne, puisque tous les autres orifices par lesquels elle pourrait s’échapper sont bloqués. 

 

LA DISSOLUTION EXTERNE : LES SENS ET LES ÉLÉMENTS

La dissolution externe est la dissolution des sens et des éléments. Quelle en sera précisément notre expérience au moment de la mort ? 

En premier lieu, nous prendrons sans doute conscience que nos sens cessent progressivement de fonctionner. Si des gens parlent autour de notre lit, un moment viendra où nous entendrons le son de leurs voix mais où nous ne serons plus capables de comprendre le sens de leurs paroles. Cela signifie que la conscience de l’ouïe aura cessé de fonctionner. Si nous regardons un objet placé en face de nous, nous pourrons seulement en percevoir le contour, non les détails. Cela signifie que la conscience de la vue aura commencé à s’affaiblir. De même pour notre sens de l’odorat, celui du goût et celui du toucher. Le moment où l’expérience de nos sens commence à nous abandonner marque la première phase du processus de dissolution. 

Les quatres phases suivantes accompagnent la dissolution des éléments : 

L'élément terre 

Nos forces physiques commencent à décliner. nous sommes vidés de toute énergie. Nous sommes incapables de nous lever, de nous tenir droits ou de garder un objet en main. Notre tête a besoin d’être soutenue. Nous avons l’impression de tomber, de nous enfoncer dans le sol ou d’être écrasés par un grand poids, comme si, selon certains textes traditionnels, une énorme montagne pesait sur nous de toute sa masse. Nous nous sentons lourds et ne trouvons de confort dans aucune position. Nous pouvons demander à être relevés, à ce que l’on remonte nos oreillers ou enlève nos couvertures. Notre teint pâlit et nous devenons blêmes. Nos jours se creusent et des taches sombres apparaissent sur nos dents. Il nous devient plus difficile d’ouvrir et de fermer les yeux. A mesure que l’agrégat de la forme se dissout, nous devenons faibles et fragiles. Notre esprit est agité, nous délirons puis sombrons dans la somnolence. 

Ce sont les signes que l’élément terre se résorbe dans l’élément eau. Cela signifie que le souffle lié à l’élément terre est de moins en moins capable de fournir un support à la conscience et que le pouvoir de l’élément eau devient plus manifeste. Le “signe secret” qui apparaît alors à l’esprit est la vision d’un mirage chatoyant.

L’élément eau. 

Nous commençons à perdre le contrôle des fluides de notre corps, qui se mettent à couler de notre nez, de notre bouche, parfois également de nos yeux. Il se peut que nous devenions incontinents. Nous ne pouvons plus remuer la langue et éprouvons une sensation de sécheresse au niveau des orbites. Nos lèvres sont crispées et exsangues, notre bouche et notre gorge sèches et obstruées. Nos narines se pincent et nous commençons à avoir très soif. Nous tremblons et sommes agités de mouvements convulsifs. L’odeur de la mort commence à planer autour de nous. A mesure que l’agrégat des sensations se dissout, les sensations corporelles diminuent, alternant de la douleur au plaisir, de la chaleur au froid. Notre esprit s’embrume, devient impatient, irritable et fébrile. Selon certains textes, nous avons l’impression de nous noyer dans un océan, ou bien d’être emportés par un fleuve immense. 

L’élément eau se dissout dans le feu, qui devient l’élément de support prédominant de la conscience. Le “signe secret” est alors une vision de brume d’où s’élèvent des volutes de fumée tourbillonnantes. 

L’élément feu.

Notre bouche et notre nez se dessèchent complètement. Toute la chaleur de notre corps nous quitte peu à peu, refluant habituellement des mains et des pieds vers le cœur. Une vapeur chaude peut s’élever du sommet du crâne. Notre souffle est froid quand il passe par le nez et la bouche. Nous ne pouvons plus boire ni digérer quoi que ce soit. L’agrégat de la perception se dissout et notre esprit alterne entre clarté et confusion. Nous ne parvenons pas à nous souvenir du nom de nos proches ou de nos amis, ni même à les reconnaître. Nous percevons de plus en plus difficilement ce qui nous est extérieur, car sons et visions deviennent confus. 

Kalou Rinpoché écrit : “ L’expérience intérieure du mourant est d’être consumé dans des flammes, de se retrouver au coeur d’un brasier rugissant ; peut être même aura-t-il l’impression que le monde entier se consume en un holocauste.”

L’élément feu se dissout dans l’air ; il est moins capable de servir de base à la conscience, tandis que l’aptitude de l’élément air à jouer ce rôle devient plus manifeste. Le “signe secret” est alors la vision d’étincelles rouges scintillantes qui dansent au-dessus d’un feu telles des lucioles. 

L'élément air 

Il nous devient de plus en plus difficile de respirer. l’air semble s’échapper de notre gorge. Notre respiration se fait rauque et haletante. Nos inspirations sont courtes et laborieuses, nos expirations plus longues. Nos yeux se révulsent et nous ne pouvons plus bouger. A mesure que l’agrégat de l’intellect se dissout, notre esprit est désorienté et nous n’avons plus conscience du monde extérieur. Tout devient indistinct. Les dernières sensations de contact avec l’environnement physique disparaissent. 

Nous commençons à avoir des hallucinations et des visions. Si notre vie a été forcément marquée par la négativité, nous verrons peut-être des formes terrifiantes. Nous voyons défiler devant nous des moments terribles et obsédants de notre passé, et nous essayons parfois même de crier de terreur. Si nous avons mené une vie pleine de bonté et de compassion, peut-être ferons-nous l’expérience de visions célestes et bienheureuses, et “rencontrerons-nous” des amis chers à notre coeur ou des êtres éveillés. Celui qui a mené une vie juste trouve dans la mort la paix, et non la peur. 

Kalou Rinpoché écrit : “L’expérience intérieure du mourant est celle d’un grand vent balayant le monde entier, lui-même y compris, celle d’un formidable tourbillon consumant l’univers dans sa totalité.”

Ce qui se produit est la dissolution de l’élément air dans la conscience. Tous les souffles se sont unis au “souffle soutenant la vie”, situé dans le coeur. Le “signe secret” est la vision d’une torche enflammée ou d’une lampe émettant une lueur rouge. 

Nos inspirations sont de plus en plus superficielles, nos expirations de plus en plus longues A ce stade, le sang se rassemble et pénètre dans le “canal de vie” situé au centre du coeur. Trois gouttes de sang s’y réunissent, l’une après l’autre, provoquant trois longues et ultimes expirations, puis nous cessons soudain de respirer. 

Seule une légère chaleur persiste au niveau du coeur. Tous les signes vitaux ont disparu et c’est le moment où, dans le contexte médical actuel, la “mort clinique” est déclarée. Mais, selon les maîtres tibétains, un processus interne se poursuit. L’intervalle qui se situe entre la fin de la respiration et la cessation du “souffle interne” est dit “durer approximativement le temps d’un repas”, soit à peu près vingt minutes. Mais cela n’est pas certain et l’ensemble du processus a parfois lieu très rapidement.

 

LA DISSOLUTION INTERNE 

Durant le processus de dissolution interne, au cours duquel se dissolvent les émotions et les états de pensée grossiers et subtils, on rencontre quatre niveaux de conscience, eux-mêmes de plus en plus subtils. 

A ce stade, le processus de la mort reproduit à l’inverse celui de la conception. Lorsque le spermatozoïde et l’ovule de nos parents s’unissent, notre conscience, poussée par le karma, est aspirée à cet endroit. Durant le développement du foetus, l’essence du père, un noyau que l’on dit être “blanc et empli de félciité”, repose dans le chakra situé au sommet de notre crâne, au-dessus du canal central. L’essence de la mère, un noyau “rouge et chaud”, demeure dans le chakra que l’on situe quatre doigts au-dessous du nombril. C’est à partir de ces deux essences que vont se développer les phases suivantes de la dissolution. Le souffle qui l’y maintenait disparaissant, l’essence blanche héritée de notre père descend par le canal central en direction du cœur. Le signe externe est une expérience de “blancheur”, comme “un ciel pur inondé de lune”. Le signe interne est que notre conscience devient extrêmement claire et que tous les états de pensée résultant de la colère, qui sont au nombre de trente-trois, prennent fin. Cette phase est connue sous le nom d’”apparition”.

Ensuite, avec la disparition du souffle qui la maintenait en place, l’essence de la mère commence à s’élever par le canal central. Le signe externe est une expérience de “rougeoiement”, comme un soleil resplendissant dans un ciel pur. Le signe interne est l’émergence d’une expérience d’intense félicité, tandis que tous les états de pensée résultant du désir, quarante au total, cessent de fonctionner. Cette phase est connue sous le nom d’ “accroissement”. 

Quand les essences rouge et blanche se rencontrent au niveau du cœur, la conscience se trouve emprisonnée entre les deux. Un maître éminent qui vivait au Népal, Tulku Urgyen Rinpoché, nous dit : “Cette expérience est semblable à la rencontre du ciel et de la terre.” Le signe extérieur est une expérience d’”obscurité”, comme un ciel vide plongé dans les ténèbres. Le signe interne est l’expérience d’un état d’esprit libre de pensées. Les septs états de pensée résultant de l’ignorance et de l’illusion prennent fin. C’est ce que l’on appelle le “plein accomplissement”. 

Puis, alors que nous reprenons quelque peu conscience, l’aube de la Luminosité fondamentale se lève, tel un ciel immaculé, dégagé de tout nuage, brouillard ou brume. On l’appelle parfois “l’esprit de Claire Lumière de la mort”. Sa Sainteté le Dalaï-Lama en dit : “Cette conscience est l’esprit subtil le plus profond. Nous l’appelons nature de bouddha, source véritable de toute conscience. Le continuum de cet esprit se perpétue même dans l’état de bouddha.”

 

LA MORT DES “POISONS”

Que se passe-t-il donc réellement quand nous mourons ? 

C’est comme si nous revenions à notre état originel ; tout se dissout à mesure que corps et esprit se désagrègent. Les trois “poisons” - colère, désir et ignorance - meurent, ce qui signifie que toutes les émotions négatives, racines du samsara, cessent effectivement. Alors apparaît un intervalle. 

Où ce processus mène-t-il ? A la base primordiale de la nature de l’esprit, dans toute sa pureté et sa simplicité naturelle. Tout ce qui l’obscurcissait est maintenant écartelé, et notre nature véritable est révélée. 

Ainsi que je l’ai expliqué au chapitre 5, “Ramener l’esprit en lui-même”, une dissolution analogue peut avoir lieu lorsque nous pratiquons la méditation et connaissons des expériences de béatitude, de clarté ou d’absence de pensées. Celles-ci attestent à leur tour de la disparition momentanée du désir, de la colère et de l’ignorance. 

A mesure que meurent la colère, le désir et l’ignorance, nous devenons de plus en plus purs. Certains maîtres expliquant que les phases d’apparition, d’accroissement et d’accomplissement sont, pour un pratiquant Dzogchen, les signes de la manifestation graduelle de Rigpa. Tandis que tout ce qui voile la nature de l’esprit disparaît, la clarté de Rigpa commence lentement à se manifester et à s’accroître. 

Tout le processus devient un déploiement de l’état de luminosité, lié à la reconnaissance de la clarté de Rigpa par le pratiquant. 

Dans le Tantra, l’approche de la pratique durant le processus de dissolution est différente. Dans la pratique yogique des canaux, souffles et essences, le pratiquant tantrique se prépare au cours de la vie au processus de la mort, en simulant les modifications de consciences du processus de dissolution qui trouvent leur apogée dans l’expérience de luminosité ou “Claire Lumière”. Le pratiquant s’efforce également de rester conscient de ces changements quand il s’endort. Il est important en effet de se souvenir que la succession de ces états de conscience de plus en plus profonds ne se produit pas seulement à la mort. Elle a lieu également, la plupart du temps à notre insu, lorsque nous nous endormons ou quand nous passons des plans les plus grossiers de la conscience aux niveaux les plus subtils. Certains maîtres ont même montré qu’elle se produit aussi au cours des processus psychologiques de notre état de veille quotidien. 

La description détaillée du processus de dissolution peut sembler compliquée. Pourtant, nous familiariser avec lui en profondeur pourra nous être très bénéfique. Les pratiquants ont à leur disposition un choix de pratiques spécifiques à effectuer à chaque stade de la dissolution. On peut, par exemple, transformer le processus de sa mort en une pratique de Guru  Yoga : à chaque étape de la dissolution externe, on engendre la dévotion et on prie le maître en le visualisant dans les différents centres d’énergie. Lorsque l’élément terre se dissout et que le signe de mirage apparaît, on le visualise au centre du cœur. Lorsque l’élément eau se dissout et que le signe de fumée se manifeste, on le visualise au centre du nombril. Lorsque l'élément feu se dissout et que le signe des lucioles apparaît, on le visualise au centre du front. Et lorsque l'élément air se dissout et que le signe de la torche devient visible, on se concentre entièrement sur le transfert de la conscience dans l’esprit de sagesse du maître. 

On trouve de nombreuses descriptions des étapes de la mort, qui diffèrent sur d’infimes détails et dans leur ordre. J’ai exposé ici le schéma général, mais le tempérament de l’individu peut en modifier le déroulement. Quand Samten, le serviteur de mon maître, vivait ses derniers instants, je me souviens que la succession des différentes phases était très marquée. Cependant, des variations peuvent se produire, dues aux effets de la maladie particulière du mourant et à l’état de ses canaux, souffles et essences. Les maîtres disent que tous les êtres vivants, jusqu’aux insectes les plus infimes, traversent ce processus. Celui-ci a même lieu dans le cas d’une mort soudaine ou d’un accident, mais son déroulement est alors extrêmement rapide. 

J’ai découvert que la manière la plus simple de comprendre ce qui se passe pendant le processus de la mort, avec ses dissolutions externe et interne, est de l’envisager comme un développement graduel, une apparition de niveaux de conscience de plus en plus subtils. Ceux-ci émergent parallèlement aux phases successives de dissolution des composants du corps et de l’esprit, tandis que le processus tend graduellement vers la révélation du niveau de conscience subtil entre tous : la Luminosité fondamentale, ou Claire Lumière. 

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