L'ACCOMPAGNEMENT DE FIN DE VIE VI

AIDER APRÈS LA MORT 

Dans le monde contemporain, il est très fréquent qu’à la mort d’une personne, l’une des sources les plus profondes d’angoisse pour les proches en deuil soit la certitude qu’ils ne peuvent maintenant plus rien pour aider l’être cher qui les a quittés - ce qui ne peut qu’aggraver et assombrir la solitude de leur chagrin. Mais la vérité est autre. Il existe bien des façons d’apporter notre soutien aux défunts et de nous aider par là même à survivre à leur absence. L’une des caractéristiques uniques du bouddhisme, qui révèle l'habileté et la compassion omniscientes des bouddhas, est de proposer de nombreuses pratiques spécifiques permettant de venir en aide à la personne défunte et donc, également, de réconforter ceux qui portent le deuil. La perspective du bouddhisme tibétain sur la vie et la mort est une vision totale ; elle nous montre clairement qu’il est possible d’aider les autres dans toutes les situations imaginables, puisqu’il n’existe pas la moindre barrière entre ce que nous appelons “la vie” et ce que nous appelons “la mort”. Un coeur empli de compassion peut étendre la puissance de son rayonnement chaleureux à toutes les situations et à tous les mondes pour y apporter son aide. 

 

QUAND POUVONS-NOUS AIDER ?

Le bardo du devenir, tel qu’il a déjà été décrit, peut nous apparaître comme une période de trouble et de chaos. Pourtant, il est porteur d’un grand espoir. Les caractéristiques du corps mental, qui le rendent si vulnérable dans ce bardo - sa clarté, sa mobilité, sa sensibilité et sa clairvoyance - le rendent aussi particulièrement réceptif à un soutien venu des vivants. L’absence de forme, de base matérielle, le rend très facile à guider. Le Livre des Morts Tibétain compare le corps mental à un cheval que l’on contrôle aisément au moyen d’une bride, ou à un énorme tronc d’arbre presque impossible à déplacer au sol, mais que l’on peut, une fois mis à l’eau, diriger à souhait sans effort. 

Les quarante-neuf jours du bardo du devenir - et plus particulièrement les vingt et un premiers - sont la meilleure période pour accomplir une pratique spirituelle à l’intention du défunt. C’est en effet durant les trois premières semaines que le lien de la personne décédée avec cette vie est le plus fort, ce qui la rend plus réceptive à notre aide. C’est donc pendant cette période que la pratique spirituelle peut influer au maximum sur son avenir et sur ses chances de libération - ou, du moins, de renaissance meilleure. Nous devrions user de tous les moyens dont nous disposons pour lui venir en aide à ce moment-là, car lorsque la forme physique de sa prochaine existence commence à se déterminer peu à peu - cela est dit se produire entre le vingt et unième et le quarante-neuvième jour après la mort - les chances d’une réelle transformation sont alors beaucoup plus restreintes. 

Le soutien au défunt, cependant, n’est pas limité aux quarante-neuf jours qui souvent la mort. Il n’est jamais trop tard pour venir en aide à une personne, même si elle est décédée depuis longtemps. Peu importe que l’être que vous désirez aider soit mort depuis cent ans : la pratique que vous effectuerez pour lui sera néanmoins bénéfique. Dudjom Rinpoché disait souvent que, même si une personne a atteint l’éveil et est devenue bouddha, elle aura encore besoin de tout le soutien que nous pourrons lui apporter dans son oeuvre pour le bien des êtres. 

 

COMMENT POUVONS-NOUS AIDER ?

La meilleure manière, et la plus simple, de venir en aide à une personne défunte est d'effectuer, dès l’annonce de sa mort, la pratique essentielle du p’owa telle que je l’ai enseignée au chapitre 13 : “L’aide spirituelle aux mourants”. 

De même que la nature du feu est de brûler et la nature de l’eau d’étancher la soif, ainsi la nature des bouddhas, disons-nous au Tibet, est-elle d’être présents dès qu’on les invoque, tant leur compassion est vaste, et leur désir de venir en aide à tous les êtres sensibles infini. N’imaginez pas un seul instant que votre invocation de la vérité pour aider votre ami disparu est moins efficace que la prière d’un “saint homme” faite à son intention. Parce que vous étiez proche du défunt, l’intensité de votre amour et la profondeur de votre lien donneront à cette invocation un pouvoir accru. Les maîtres nous l’ont affirmé : si nous appelons les bouddhas, ils nous répondront. 

Khandro Tséring Chödron, l’épouse spirituelle de Jamyang Khyentsé, disait souvent que si votre prière pour une personne part d’un coeur bienveillant et d’une intention pure, elle sera très efficace. Si, par conséquent, vous priez avec un amour et une sincérité authentiques pour un être disparu qui vous était cher, ayez la certitude que votre prière aura alors un pouvoir exceptionnel. 

Le moment le meilleur et le plus efficace pour effectuer le p’owa se situe avant que le corps ne soit aucunement touché ou dérangé. Si cela s’avère impossible, essayez alors de l’accomplir à l’endroit où la personne est décédée ; sinon, représentez-vous intensément ce lieu en esprit. Il existe un lien très puissant entre la personne décédée et le lieu et l’heure de son décès, particulièrement dans le cas d’une mort traumatisante. 

Dans le bardo du devenir, comme je l’ai dit, la conscience du défunt revit à nouveau chaque semaine l’expérience de la mort, le même jour exactement. Aussi, bien que n’importe lequel des quarante-neuf jours convienne pour effectuer le p’owa ou toute autre pratique spirituelle choisie par vous, c’est le jour de la semaine où la personne est morte qui devrait être privilégié. 

Chaque fois que la pensée de votre parent ou ami décédé vous vient à l’esprit, chaque fois que vous entendez prononcer son nom, adressez-lui votre amour, puis concentrez-vous sur le p’owa et effectuez-le aussi longtemps et autant de fois que vous le souhaitez. 

Chaque fois que vous pensez à une personne disparue, vous pouvez également réciter immédiatement un mantra, par exemple OM MANI PADME HUM (que les Tibétains prononcent Om Mani Pémé Houng), le mantra du Bouddha de la Compassion qui purifie chacune des émotions négatives causant la renaissance ; ou bien OM AMI DEWA HRIH, qui est le mantra d’Amitabha, le Bouddha de la Lumière infinie. Vous pouvez faire ensuite à nouveau la pratique du p’owa. 

Toutefois, que vous effectuiez ou non l’une de ces pratiques pour aider un proche qui vient de mourir, n’oubliez pas que la conscience, durant le bardo, est d’une clairvoyance aiguë ; le simple fait de diriger des pensées positives vers le défunt lui sera du plus grand secours. 

Lorsque vous priez pour une personne qui vous était chère, vous pouvez, si vous le désirez, étendre votre compassion et vos prières à d’autres disparus : les victimes d’atrocités, de guerres, de catastrophe, de famines, ou ceux qui sont morts et meurent en ce moment même dans des camps de concentration, comme ceux de la Chine et du Tibet. Vous pouvez même prier pour des personnes qui sont décédées depuis des années, comme vos grands-parents, des membres de votre famille disparus depuis longtemps, ou les victimes des guerres, par exemple des guerres mondiales. Imaginez que vos prières s’en vont tout spécialement vers ceux dont la vie s’est terminée dans une angoisse, une passion ou une colère extrêmes. 

Ceux qui ont subi une mort violente ou soudaine ont un besoin d’aide particulièrement urgent. Les victimes d’un meurtre, d’un suicide, d’un accident ou d’une guerre peuvent facilement se trouver piégées dans leur souffrance, leur angoisse et leur peur, ou emprisonnées dans l’expérience même de la mort, empêchant ainsi le déroulement du processus de la renaissance. Lorsque vous pratiquez le p’owa à leur intention, faites-le avec plus de force et de ferveur que vous ne l’aviez jamais fait auparavant : 

Imaginez que d’intenses rayons de lumière émanant des bouddhas ou des êtres divins répandent leur compassion et leurs bénédictions. Considérez que cette lumière inonde le défunt, le purifie totalement, le libère de la confusion et de la souffrance de sa mort et lui octroie ainsi une paix profonde et durable. Imaginez alors, avec toute l’intensité possible, que la personne se dissout en lumière et que sa conscience, guérie à présent et libérée de toute souffrance, s’élève pour se fondre indissociablement et à jamais en l’esprit de sagesse des bouddhas. 

Des Occidentaux récemment en visite au Tibet m’ont raconté un événement dont ils furent les témoins. Un jour, un Tibétain marchant sur le bord d’une route fut renversé par un camion chinois et tué sur le coup. Un moine qui passait par là se dirigea promptement vers l’homme allongé sur le sol et s’assit auprès de lui. Ils le virent se pencher sur le corps et réciter quelque chose, une pratique peut-être, tout près de son oreille ; soudain, à leur stupéfaction, le mort revint à la vie. Le moine effectua alors une pratique qu’ils reconnurent comme étant celle du transfert de la conscience, puis il le guida calmement dans son retour à la mort. Que s’était-il passé ? Le moine, à l’évidence, s’était aperçu que le choc violent de sa mort avait laissé l’homme terriblement désorienté ; c’est pourquoi il avait agi avec célérité, tout d’abord pour libérer l’esprit du défunt de sa détresse puis, par l’intermédiaire du p’owa, pour le transférer dans un royaume de bouddha ou vers une renaissance favorable. Le moine, aux yeux des Occidentaux qui avaient assisté à la scène, semblait être une personne ordinaire, mais cette histoire remarquable prouve qu’il était en fait un pratiquant au pouvoir considérable. 

Les pratiques de méditation et les prières ne sont pas les seules façons de venir en aide aux personnes décédées. Nous pouvons faire en leur nom des dons à des oeuvres charitables, afin d’assister les malades et les déshérités ; nous pouvons distribuer leurs biens aux pauvres ; nous pouvons contribuer, de leur part, à des entreprises humanitaires ou spirituelles telles que des hôpitaux, des projets d’entraide, des unités de soins palliatifs ou des monastères. 

Nous pouvons également parrainer des retraites faites par de bons pratiquants spirituels, ou des réunions de prière conduites par de grands maîtres en des lieux sacrés, à Bodhgaya par exemple. Nous pouvons faire des offrandes de lumière à l’intention du défunt, ou subventionner des oeuvres d’art en rapport avec la pratique spirituelle. Un autre moyen de venir en aide aux morts, particulièrement en faveur au Tibet et dans les Himalayas, est de sauver des animaux destinés à l'abattoir et de leur rendre la liberté.

Il est important de dédier au défunt, et en fait à toutes les personnes décédées, le mérite et le bonheur qui découlent de tels actes de bonté et de générosité, afin que tous puissent obtenir une meilleure renaissance et des circonstances favorables dans leur prochaine vie.

 

LA CLAIRVOYANCE DU DÉFUNT

Rappelez-vous que, dans le bardo du devenir, la conscience de la personne décédée est clairvoyante et sept fois plus lucide que dans la vie. Cela peut être cause soit de grande souffrance, soit de grand bienfait. 

Il est donc essentiel, après le décès d’un être cher, que vous soyez aussi vigilant que possible dans votre comportement, afin de ne pas perturber ou blesser le défunt. En effet, quand celui-ci retourne vers ceux qu’il a quittés, ou vers ceux que l’on a invités à pratiquer à son intention, il est capable, dans son nouvel état d’existence, non seulement de voir ce qui se passe mais également de lire directement dans les pensées. Si les proches ne font qu’intriguer ou se quereller à propos du partage de l’héritage, ou si leurs paroles et leurs pensées, dénuées d’amour sincère pour la personne décédée, ne manifeste qu’attachement et aversion, celle-ci pourra en éprouver une colère, une souffrance ou une déception intenses ; ces émotions tumulteuses l’attireront alors dans une renaissance défavorable.

Imaginez, par exemple, que le disparu voie des pratiquants spirituels, censés pratiquer à son intention, s’y employer sans se soucier réellement de son intérêt, l’esprit ailleurs, préoccupés par des distractions triviales. Peut-être perdra-t-il alors toute la foi qu’il aurait jamais pu avoir. Ou bien imaginez qu’il observe sa famille éperdue, accablée par le chagrin ; cela pourra le plonger lui-même dans une profonde douleur. Et s’il découvre, par exemple, que ses proches ont seulement fait semblant de l’aimer à cause de son argent, il pourra être si douloureusement désenchanté qu’il reviendra en tant qu’esprit hanter l’héritier de sa fortune. Vous pouvez voir ainsi que vos actes, vos pensées et votre comportement après la mort d’une personne peuvent revêtir une importance cruciale et avoir sur son avenir un impact infiniment plus grand que vous n’auriez pu l’imaginer. 

Vous comprenez sans doute maintenant pourquoi il est absolument essentiel, pour la paix de l’esprit du défunt, que l’harmonie règne parmi ceux qu’il a quittés. C’est la raison pour laquelle, au Tibet, lorsque ses parents et amis se réunissaient, ils étaient encouragés à pratiquer ensemble et à réciter aussi souvent que possible un mantra, tel que OM MANI PADME HUM. Tous les Tibétains en étaient capables et ils savaient avec certitude que cela aiderait la personne décédée ; aussi étaient-ils inspirés à mener avec ferveur une action de prière commune. 

La clairvoyance du défunt dans le bardo du devenir explique également pourquoi la pratique effectuée à son intention par un maître ou un pratiquant spirituel expérimenté est une source de bienfaits aussi exceptionnelle. 

 

Que fait le maître ? Il demeure dans l’état primordial de Rigpa, la nature de l’esprit, et invoque le corps mental qui erre dans le bardo du devenir. Lorsque le corps mental vient en présence du maître, celui-ci, par le pouvoir de sa méditation, peut lui montrer la nature essentielle de Rigpa. Grâce à son pouvoir de clairvoyance, l’être du bardo peut voir directement l’esprit de sagesse du maître ; il est alors introduit sur-le-champ à la nature de l’esprit, et atteint la libération.

Pour la même raison, toute pratique effectuée par un pratiquant ordinaire à l’intention d’un ami décédé qui lui était cher peut être pour lui d’un grand secours. On peut, par exemple, accomplir la pratique des cent déités paisibles et courroucées associées au Livre des Morts Tibétain, ou simplement reposer dans un état stable de compassion ; le bienfait en sera immense, surtout si l’on invoque le défunt et l’invite au coeur de sa pratique. 

Chaque fois qu’un pratiquant bouddhiste meurt, nous en informons son maître ainsi que tous ses guides et amis spirituels, afin qu’ils commencent immédiatement à pratiquer pour lui. Je recueille habituellement les noms des personnes décédées et les envoie aux grands maîtres que je connais, en Inde et dans les Himalayas. Toutes les deux ou trois semaines, ils les incluent dans une pratique de purification et, une fois par an, dans une pratique intensive commune de dix jours conduite dans les monastères. 

 

LES PRATIQUES POUR LES MORTS DANS LE BOUDDHISME TIBÉTAIN

  1. Le “Livre des Morts Tibétain”. 

Au Tibet, une fois que la pratique du p’owa a été accomplie pour la personne mourante, on lit à maintes reprises le Livre des Morts Tibétain et on effectue les pratiques qui lui sont associées. Au Tibet oriental, nous lisions traditionnellement le Livre des Morts Tibétain pendant toute la période des quarante-neuf jours qui suivait la mort. Par l’intermédiaire de la lecture, on indique ainsi au défunt à quel stade du processus il se trouve et on lui donne l’inspiration et les instructions dont il a besoin. 

Les Occidentaux me demandent souvent : Comment une personne décédée peut-elle entendre le Livre des Morts Tibétain ? 

La réponse est simplement que la conscience du défunt, quand elle est invoquée par le pouvoir de la prière, est capable de lire dans notre esprit et de percevoir exactement ce que nous pensons ou ce sur quoi nous méditons. C’est pourquoi rien n’empêche la personne de comprendre le Livre des Morts Tibétain ou les pratiques effectuées à son intention, même si elles sont récitées en tibétain. Il n’existe pas de barrière de langage pour le défunt, car son esprit peut saisir pleinement et d’emblée la signification essentielle du texte. 

Il est donc crucial que le pratiquant soit aussi concentré et attentif que possible lorsqu’il accomplit la pratique, et ne se contente pas de la faire juste machinalement. En outre, puisque la personne décédée est en train de vivre réellement les expériences dont il est question, son aptitude à comprendre la vérité contenue dans le Livre des Morts Tibétain est peut-être bien plus grande que la nôtre !

On me demande parfois ce qu’il advient si la conscience s’est déjà évanouie au moment de la mort. Puisque nous ne savons pas combien de temps la personne décédée va demeurer dans cet état d’inconscience, ni à quel moment elle fera son entrée dans le bardo du devenir, le Livre des Morts Tibétain est lu et pratiqué à maintes reprises afin de couvrir toutes les éventualités. 

Mais qu’en est-il de ceux qui ne sont pas familiarisés avec les enseignements ou avec le Livre des Morts Tibétain ? Devons-nous le leur lire ? Le Dalaï-Lama a donné des instructions très claires à ce sujet : 

Que vous ayez ou non foi en une religion, il est très important que votre esprit soit paisible au moment de la mort… Que le mourant y croie ou non, la renaissance, du point de vue bouddhiste, est une réalité, et un état d’esprit paisible - ou même neutre - est donc important au moment de la mort. Si la personne ne partage pas cette croyance, la lecture du Livre des Morts Tibétain pourrait perturber son esprit … susciter de l’aversion et donc lui nuire au lieu de l’aider. S’il s’agit par contre d’une personne qui lui est réceptive, les mantras ou les noms des bouddhas pourront l’aider à créer un lien, et être ainsi utiles. Il est important de prendre en compte, avant toute chose, l’attitude de la personne mourante. 

  1. Le “Né Dren” et le “Chang Chok”

La pratique du Né Dren, le rituel pour guider les morts, ou du Chang Chok, le rituel de purification par lequel un maître guide la conscience du défunt vers une meilleure renaissance, va de pair avec la lecture du Livre des Morts Tibétain. 

Dans une situation idéale, le Né Dren et le Chang Chok devraient être effectués immédiatement après le décès ou, du moins, avant la fin des quarante-neuf jours. Si le corps n’est pas présent, la conscience du disparu est invitée à entrer dans une effigie ou une image le représentant et portant son nom - voire une photo - appelée tsenjang. Le Né Dren et le Chang Chok tirent leur pouvoir du fait que, durant la période qui suit immédiatement la mort, le défunt ressent fortement l’impression d’être encore en possession du corps de sa vie passée.

Par le pouvoir de la méditation du maître, la conscience de la personne décédée errant sans but dans le bardo est appelée dans le tsenjang, qui représente son identité. La conscience est alors purifiée ; les graines karmiques des six mondes sont nettoyées ; un enseignement est donné, exactement comme dans la vie, et la personne est introduite à la nature de l’esprit. Le p’owa est finalement effectué, et la conscience est dirigé vers l’un des royaumes des bouddhas. Le tsenjang, qui représente son ancienne identité - à présent abandonnée - est alors brûlé, et le karma du défunt purifié.

  1. La purification des six mondes. 

Mon maître Dilgo Khyentsé Rinpoché disait souvent que la pratique appelé “purification des six mondes” est sans conteste la meilleure des pratiques de purification pour un pratiquant décédé. 

La purification des six mondes est une pratique utilisée dans la vie ; elle emploie la visualisation et la méditation pour purifier le corps, tout à la fois des six principales émotions négatives et des mondes d’existence auxquels ces émotions donnent naissance. Elle peut aussi être utilisée de manière très efficace pour les morts ; elle est particulièrement puissante car elle purifie la racine de leur karma, et donc de leur lien avec le samsara. Ceci est fondamental ; si ces émotions négatives ne sont pas purifiées, ce sont elles qui imposeront le monde spécifique du samsara dans lequel la personne décédée devra renaître. 

Selon les tantras du Dzogchen, les émotions négatives s’accumulent dans le système psychophysique des canaux subtils, de l’air intérieur et de l’énergie, et se rassemblent en des centres d’énergie spécifiques du corps. Ainsi, le germe du monde infernal et sa cause, la colère, sont-ils situés au niveau de la plante des pieds ; le monde des esprits avides et sa cause, l’avarice, se trouvent à la base du tronc ; le monde animal et sa cause, l’ignorance, se situent au niveau du nombril ; le monde humain et sa cause, le doute, sont placé au coeur ; le monde des demi-dieux et sa cause, la jalousie, sont logés dans la gorge ; et le monde des dieux et sa cause, l'orgueil, se situent au sommet de la tête. 

Dans cette pratique, lorsque chaque monde et l’émotion négative correspondante sont purifiés, le pratiquant imagine que tout le karma créé par cette émotion particulière est épuisé et que la partie spécifique du corps associée au karma de cette émotion se dissout entièrement en lumière. Aussi, quand vous effectuez cette pratique à l’intention d’une personne décédée, imaginez avec toute l’intensité possible que, lorsqu’elle est achevée, la totalité du karma du défunt est purifiée et que son corps et son être tout entier se dissolvent en une lumière resplendissante. 

 

  1. La pratique des cent déités paisibles et courroucées. 

Un autre moyen d’aider un défunt est d’accomplir la pratique des cent déités paisibles et courroucées. Le pratiquant considère la totalité de son propre corps comme étant le mandala de ces cents déités (celles-ci sont décrites au chapitre 17, “Le rayonnement intrinsèque”). Les déités paisible sont visualisées dans le centre d’énergie du coeur et des déités courroucées dans le cerveau. Le pratiquant imagine alors que d'innombrables rayons de lumière émanant des déités inondent le défunt et le purifient de tout son karma négatif. 

Le mantra de purification récité par le pratiquant est le mantra de Vajrasattva, déité qui préside à tous les mandalas tantriques et qui est la déité centrale du mandala des cent déités paisibles et courroucées. Son pouvoir est spécialement invoqué pour la purification et la guérison. Ce “mantra des cent syllabes” comprend la “syllabe-germe” de chacune des cent déités paisibles et courroucées. 

Vous pouvez utiliser une version plus courte du mantra de Vajrasattva, à six syllabes : OM VAJRA SATTVA HUM, que les Tibétains prononcent Om Benza Satto Houng. La signification essentielle de ce mantra est : “Ô Vajrasattva ! Puisses-tu, par ton pouvoir, apporter la purification, la guérison et la transformation.” Je recommande vivement ce mantra pour la guérison et la purification. 

Un autre mantra important, qui apparaît dans les tantras du Dzogchen et les pratiques associées au Livre des Morts Tibétain, est ‘A A HA SHA SA MA. Les six syllabes de ce mantra ont le pouvoir de “fermer les entrées” des six mondes du samsara. 

  1. La crémation.

Dans de nombreuses traditions orientales, le corps est habituellement soumis à la crémation. Dans le bouddhisme tibétain, il existe aussi des pratiques spécifiques pour la crémation. Le crématorium ou le bûcher funéraire est visualisé comme le mandala de Vajrasattva ou des cent déités paisibles et courroucées ; on visualise intensément les déités, et on invoque leur présence. Le corps est considéré comme la représentation réelle de tout le karma négatif du défunt et des voiles qui obscurcissent son esprit. Ceux-ci sont consommés en un grand festin par les déités qui, tandis que le cadavre se consume, les transmutent en leur nature de sagesse. On imagine que des rayons de lumière jaillissent des déités et que le corps se fond entièrement en lumière, tandis que toutes les impuretés du défunt son purifiées dans le brasier de la sagesse. En visualisant ceci, vous pouvez réciter le mantra des cent syllabes ou le mantra des six syllabes ou le mantra des six syllabes de Vajrasattva. Cette pratique simple pour la crémation fut transmise et inspirée par Dudjom Rinpoché et Dilgo Khyentsé Rinpoché. 

Les cendres du corps et du tsenjang peuvent être mélangées à de l’argile pour former des figurines appelées tsatsa. Elles sont bénies et consacrées au nom de la personne décédée, créant ainsi des conditions favorables pour une bonne renaissance future. 

  1. Les pratiques hebdomadaires. 

Chez les Tibétains, des pratiques et des rituels sont effectués régulièrement tous les sept jours après la mort ou, si la famille peut se le permettre, chacun des quarante-neuf jours. Des moines sont invités à venir pratiquer, particulièrement les lamas proches de la famille qui avaient un lien avec le défunt. Des bougies sont allumées et offertes et des prières récitées continuellement, plus particulièrement jusqu’à l’enlèvement du corps. On fait des offrandes aux maîtres et aux autels, et l’on distribue des aumônes aux pauvres au nom de la personne décédée. 

Ces pratiques “hebdomadaires” à l’intention du défunt sont considérées comme essentielles puisque, dans le bardo du devenir, le corps mental subit à nouveau l’épreuve de la mort, le même jour de chaque semaine. Si le défunt a accumulé suffisamment de mérite en conséquence de ses actions positives passées, le bienfait de ces pratiques peut lui donner l'élan nécessaires pour aller dans un royaume pur. Pour être précis, si une personne est décédée un mercredi avant midi, le premier jour de la pratique hebdomadaire tombera le mardi suivant ; si elle est décédée l’après-midi, ce jour sera le mercredi suivant. 

Les Tibétains considèrent que la quatrième semaine après la mort revêt une importance particulière ; certains disent, en effet, que la plupart des êtres ordinaires ne demeurent pas plus longtemps dans le bardo. La septième semaine est également considérée comme une période critique, car on enseigne que le séjour dans le bardo ne peut généralement pas excéder cette durée. Aussi les maîtres et les pratiquants sont-ils invités dans la maison du défunt en ces occasions, et les pratiques, offrandes et dons aux indigents sont alors accomplis à plus grande échelle. 

Une autre cérémonie d’offrande et un festin ont lieu un an après le décès, pour marquer la renaissance de la personne. La plupart des familles tibétaines célébraient des cérémonies annuelles pour l’anniversaire de la mort de leurs maîtres, de leurs parents, de leur mari ou de leur femme, de leurs frères et soeurs, et distribuaient ces jours-là des aumônes aux pauvres. 

 

L’AIDE AUX PERSONNES EN DEUIL

Chez les Tibétains, lorsque quelqu’un meurt, il est normal que famille et amis se rassemblent chez le défunt et chacun, à sa manière, trouve toujours une façon d’aider. Toute la communauté apporte un soutien considérable sur les plans spirituel, affectif et matériel, et ne laisse jamais la famille du disparu impuissante, désorientée ou désemparée. Chacun, dans la société tibétaine, sait que l’on fait pour la personne disparue tout ce qu’il est possible de faire, et cette certitude donne aux survivants la force de supporter la mort de l’être aimé, de l'accepter et de continuer à vivre. 

Quelle différence dans notre société moderne, où un tel soutien de la communauté a presque entièrement disparu ! Je pense souvent qu’une aide de cet ordre contribuerait pour une large part à éviter que le chagrin du deuil ne se prolonge et ne soit inutilement éprouvant, comme cela est si souvent le cas. 

Mes étudiants qui assistent les proches en deuil dans des centres de soins palliatifs m’ont rapporté qu’une des sources de tourment les plus cruelles pour celui qui a subi la perte d’un être cher, est la conviction que ni lui ni personne ne peut rien pour le défunt. Mais, comme je l’ai montré, il y a au contraire beaucoup de choses que tout un chacun peut faire pour aider la personne disparue. 

Une manière de réconforter ceux qui portent le deuil est de les encourager à agir en faveur de l’être aimé qui les a quittés : vivre encore plus intensément, en son nom, après son décès, pratiquer pour lui et donner ainsi à sa mort une signification plus profonde. Au Tibet, les parents du défunt peuvent même aller en pèlerinage à son intention ; à certains moment particuliers, lorsqu’ils seront en des lieux saints, ils penseront à leur proche décédé et pratiqueront pour lui. Les Tibétains n’oublient jamais leurs morts : ils font, en leur nom, des offrandes sur les autels, subventionnent de grands rassemblements de prière et continuent à faire des dons au profit d’oeuvres spirituelles ; et quand ils rencontrent des maîtres, ils leur demandent des prières qui leur sont spécialement destinées. Il n’est pas de plus grande consolation pour un Tibétain que de savoir qu’un maître effectue une pratique à l’intention d’un membre de sa famille qui n’est plus. 

 

Ne nous laissons donc pas mourir à demi en même temps que celui qui nous est cher. Essayons de vivre, après qu’il nous a quittés, avec une ferveur accrue. Tentons, pour le moins, de satisfaire ses voeux et ses aspirations d’une façon ou d’une autre, en distribuant par exemple une partie de ses biens à des oeuvres de charité ou en participant en son nom au financement d’un projet qui lui tenait particulièrement à coeur. 

Les Tibétains écrivent souvent à leurs amis en deuil des lettres de condoléances qui pourraient être rédigées en ces termes : 

Toutes choses sont impermanentes, et toutes choses périssent, tu le sais. Il était naturel que ta mère meure à ce moment-là ; il est dans l’ordre des choses que l’ancienne génération disparaisse la première. Ta mère était âgée et souffrante, et elle ne regrettera pas d’avoir dû quitter son corps. Et puisque tu peux maintenant l’aider en organisant des pratiques et en accomplissant de bonnes actions en son nom, elle en sera heureuse et soulagée. Alors, je t’en prie, ne sois pas triste. 

Si notre ami a perdu un enfant ou un proche qui semblait trop jeune pour mourir, nous lui écrivons :

Maintenant que ton petit garçon est mort, l’univers tout entier semble s’être effondré pour toi. Cela semble, je le sais, si cruel et aberrant. Je ne peux pas expliquer la mort de ton fils, mais je sais qu’elle doit être la conséquence naturelle de son karma, et je crois et j’ai la certitude que sa mort a purifié une dette karmique que ni toit ni moi ne pouvons connaître. Ta douleur est aussi la mienne. Mais prends courage car maintenant nous pouvons, toi et moi, lui venir en aide par notre pratique, nos bonnes actions et notre amour ; nous pouvons lui prendre la main et marcher à ses côtés, même maintenant, même après sa mort, et l’aider à trouver une nouvelle naissance et une vie plus longue la prochaine fois. 

Dans d’autres cas, nous pourrions écrire ceci : 

Je connais l’immensité de ta douleur mais, quand tu es tenté de sombrer dans le désespoir, rappelle-toi simplement quelle chance a ton amie d’avoir des maîtres qui pratiquent pour elle. Pense aussi qu’en d’autres temps et d’autres lieux, ceux qui sont morts n’ont pas reçu une telle aide spirituelle. Pense, lorsque tu te souviens de la mort de ton amie, à tous ceux qui aujourd’hui, de par le monde meurent seuls, oubliés, abandonnés, sans le secours d’une perspective spirituelle. Songe à ceux qui sont morts pendant les années atroces, inhumaines, de la Révolution culturelle au Tibet, alors que toute pratique spirituelle, quelle qu’elle fût, était interdite. 

Souviens-toi également, quand le désespoir menace, que t’y abandonner ne ferait que troubler la défunte. Ton chagrin pourrait même la détourner du chemin qu’elle est peut-être en train de prendre vers une renaissance heureuse. Si tu te laisses dévorer par la douleur, tu te rendras toi-même incapable de l’aider. Plus tu seras calme et demeureras dans un état d’esprit positif, plus tu lui apporteras de réconfort et lui donneras la possibilité de se libérer. Quand tu es triste, aie le courage de te dire : “ Quels que soient mes sentiments en ce moment, ils passeront ; même s’ils reviennent, ils ne peuvent pas durer.” A condition de ne pas essayer de les prolonger, tous tes sentiments de perte et de douleur en viendront naturellement à se dissiper et à s’évanouir. 

Mais dans notre monde, où nous ne savons même pas qu’il est possible d’aider les défunts et où nous n’avons absolument pas affronté la réalité de la mort, une réflexion aussi sereine et sage peut ne pas être aisée. Une personne qui subit l’épreuve du deuil pour la première fois peut tout simplement être brisée par l’avalanche d’émotions perturbatrices, par la tristesse, la colère, le refus, le repli sur soi et la culpabilité intenses qui la bouleversent intérieurement. Apporter votre aide à ceux qui viennent de subir la perte d’un proche requerra toute votre patience et toute votre sensibilité. Vous devrez passer du temps avec eux, les laisser parler, les écouter silencieusement sans les juger pendant qu’ils évoquent leurs souvenirs les plus intimes et reviennent sans fin sur les détails de la mort. Par-dessus tout, il vous faudra simplement être présent tandis qu’ils font l’expérience de ce qui est sans doute la tristesse et la douleur les plus cruelles de toute leur vie. Assurez-vous que vous êtes entièrement à leur disposition, même quand ils ne semblent pas avoir besoin de vous. Lorsqu’une veuve, Carole, fut interrogée pour un programme vidéo portant sur la mort, un an après le décès de son mari, on lui demanda : “ Si vous considérez l’année écoule, qui, à votre avis, vous a le plus aidée ?” Elle répondit : “Les personnes qui ont continué à téléphoner et à venir me voir, malgré mes refus.”

Ceux qui sont en deuil passent par une sorte de mort. Tout comme un mourant, ils ont besoin de savoir que les émotions perturbatrices qu’ils éprouvent sont naturelles, et que le deuil est un processus long et souvent tortueux où la souffrance revient, encore et encore, par cycles. Leur état de choc, leur hébétude et leur sentiment d’incrédulité s’estomperont et seront remplacés par une conscience profonde et, par moments, désespérée, de l’immensité de leur perte ; cela aussi finira par s’atténuer, se transformant en un état d’apaisement et d’équilibre. Dites-leur que ce cycle se répétera plusieurs fois, mois après moi, et que toutes ces émotions insoutenables sont naturelles, de même que leur peur de ne plus pouvoir revenir à une vie normale. Dites-leur que leur douleur parviendra à son terme et se transformera en acceptation, c’est une certitude, même si cela peut demander un an ou deux ; 

Comme le dit Judy Tatelbaum : 

Le chagrin est une blessure qui demande de l’attention pour guérir. Afin d’aller jusqu’au bout de notre chagrin et de l’épuiser, nous devons affronter nos émotions dans un esprit d’ouverture et d’honnêteté, les exprimer, les libérer totalement et les accepter, quel que soit le temps que prendra notre blessure pour guérir. Nous craignons que le chagrin ne nous submerge si nous le reconnaissons. La vérité est que le chagrin dont on fait l’expérience se dissipe. Un chagrin non exprimé est un chagrin qui dure indéfiniment. 

Mais trop souvent, et de façon tragique, les amis de la famille de la personne endeuillée s’attendent à ce que celle-ci “revienne à la normale” après quelques mois. Cela ne fait qu’augmenter sa confusion et son isolement car son chagrin persiste et, parfois même, s’intensifie. 

Au Tibet, comme je l’ai dit, la communauté tout entière, les amis et les membres de la famille venaient offrir leur aide pendant toute la période des quarante-neuf jours suivant la mort, et chacun participait pleinement à l’aide spirituelle apportée au défunt, ce qui impliquait une multitude de choses à faire. La famille du disparu s’affligeait et verser des larmes, comme il est naturel. Puis, quand tout le monde était parti, la maison semblait bien vide. Pourtant, subtilement, l’affairement et le soutien de ces quarante-neuf jours les avaient réconfortés et aidés à traverser une grande partie du processus de deuil. 

Dans notre société, affronter seul la perte d’un être cher est une chose bien différente. Et toutes les émotions habituelles de chagrin sont grandement intensifiées dans le cas d’une mort soudaine ou d’une suicide. Chez la personne en deuil, le sentiment d’impuissance à venir en aide au défunt est par là même accru. Il est très important que ceux qui survivent au décès soudain d’un proche se rendent auprès du corps ; s’ils ne le font pas, en effet, il pourra leur être difficile de réaliser que la mort a vraiment eu lieu. Si c’est possible, les personnes devraient s’asseoir tranquillement près du corps et dire ce qu’elles ont besoin de dire, exprimer leur amour et commencer à dire adieu. 

Si cela n’est pas possible, procurez-vous une photo de la personne qui vient de mourir et entamez le processus de l’adieu, de l’achèvement de la relation et du lâcher prise. Encouragez ceux qui souffrent de la mort soudaine d’un être cher à faire de même ; l’acceptation de cette nouvelle et déchirante réalité de la mort leur en sera facilitée. Parlez-leur également des moyens que j’ai décrits plus haut et qui permettent de venir en aide au défunt : ce sont des méthodes simples qu’ils peuvent eux-mêmes employer au lieu de rester assis, envahis par une culpabilité et une frustration muettes, à ressasser désespérément l’épisode de la mort. 

Dans le cas d’une mort soudaine, les survivants éprouvent souvent des sentiments violents et inhabituels de colère envers ce qu’ils considèrent être la cause de la mort. Aidez-les à exprimer cette émotion car, s’ils la répriment, ils se trouveront tôt ou tard plongés dans une dépression chronique. Aidez-les à abandonner leur colère et à découvrir la profondeur de la souffrance qui se cache derrière elle. Ils peuvent alors commencer le processus de lâcher prise, tâche douloureuse mais qui les amènera progressivement à la guérison complète. 

Il arrive souvent qu’après la mort d’un être cher, un individu se trouve accablé par un intense sentiment de culpabilité ; il ressasse les erreurs de la relation passée ou se torture à la pensée de ce qu’il aurait pu faire pour empêcher la mort. Encouragez-le à parler de son sentiment de culpabilité, quelque déraisonnable et aberrant qu’il puisse paraître. Il s’atténuera ainsi lentement et la personne finira par se pardonner elle-même et pa reprendre le cours normal de sa vie. 

UNE PRATIQUE DU COEUR

Je voudrais vous présenter maintenant une pratique qui pourra vous être d’un grand secours si vous êtes accablé par un chagrin ou une douleur profonde. Mon maître Jamyang Khyentsé avait coutume de proposer cette pratique aux personnes qui passaient par des tourments émotionnels, une profonde angoisse ou une dépression. Je sais, de par ma propre expérience, qu’elle peut procurer un soulagement et un réconfort immenses. La vie d’une personne qui enseigne dans un monde comme le nôtre n’est pas facile. Lorsque j’étais plus jeune, j’ai connu bien des périodes de crise et de difficultés ; dans ces moments-là, j’invoquais toujours Padmasambhava, en le considérant comme identique à tous mes maîtres - ce que je n’ai jamais cessé de faire depuis. J’ai ainsi personnellement découvert le pouvoir transformateur de cette pratique, et j’ai compris pourquoi tous mes maîtres déclaraient souvent que la pratique de Padmasambhava était la plus efficace pour aider un individu à traverser une période tourmentée. Elle possède, en effet, le pouvoir requis pour faire face et survivre à la confusion chaotique de notre temps. 

Par conséquent, chaque fois que vous vous sentez désespéré, angoissé ou déprimé, que vous avez l’impression de n’en plus pouvoir, que votre coeur se brise, je vous conseille de faire cette pratique. La seule condition pour qu’elle soit efficace est que vous l’accomplissez de toutes vos forces et demandiez, réellement, de l’aide. 

Même si vous pratiquez la méditation, vous connaîtrez des difficultés et des souffrances émotionnelles ; beaucoup de faits de vos vies passées et de votre existence présente peuvent émerger et être difficile à affronter. Vous vous apercevrez peut-être que vous ne possédez par la sagesse, ou la stabilité dans la médiation, qui vous permettraient de les résoudre, et que votre méditation par elle-même ne suffit pas. Ce dont vous avez besoin est ce que j’appelle une “pratique du coeur”. 

Cela m’attriste toujours que les gens n’aient pas à leur disposition une pratique de ce genre pour les aider dans leurs moments de désespoir profond. Si vous avez une telle pratique, vous vous apercevrez que vous possédez là un bien inestimable qui deviendra également pour vous une source de transformation et de force renouvelée. 

  1. L’invocation 

Invoquez dans le ciel devant vous la présence de l’être éveillé qui vous procure la plus grande inspiration et considérez qu’il est la personnification de tous les bouddhas, de tous les bodhisattvas et de tous les maîtres. Pour moi, comme je l’ai dit, cette personnification est Padmasambhava. Mais si vous ne pouvez visualiser en esprit une forme définie, contentez-vous de ressentir fortement sa présence et invoquez sa compassion, sa bénédiction et son pouvoir infinis. 

  1. L’appel

Ouvrez votre coeur et invoquez cet être avec toute la douleur et la souffrance que vous ressentez. S’il vous prend l’envie de pleurer, ne vous retenez pas : laissez couler vos larmes et demandez sincèrement de l’aide. Sachez que quelqu’un est là, totalement présent pour vous, qu’il vous écoute et vous comprend avec amour et compassion, sans jamais vous juger ; il est votre ami suprême. Appelez-le des profondeurs de votre souffrance, en récitant le mantra OM AH HUM VAJRA GURU PADMA SIDDHI HUM, ce mantra qui, utilisé par des centaines de milliers d’individus au cours des siècles, a été pour eux une source apaisante de purification et de protection. 

  1. Emplir votre coeur de félicité 

Considérez avec une totale conviction que le bouddha ainsi invoqué répond avec tout son amour, toute sa compassion et sa sagesse, tout son pouvoir. Des rayons de lumière d’un éclat extraordinaire émanent de lui et vous inondent. Considérez cette lumière comme un nectar qui emplit entièrement votre coeur et transforme votre souffrance en félicité. 

Dans une de ses manifestations, Padmasambhava est assis simplement en posture de méditation, enveloppé de sa cape et de ses robes. Il émane de lui une impression merveilleuse de bien-être chaleureux et confortable, et son visage sourit avec amour. Dans cette émanation, on l’appelle “Padmasambhava de Grande Félicité”. Dans ses mains posées tranquillement en son sein, il tient une coupe faite d’une calotte crânienne emplie du nectar bouillonnant et étincelant de la “Grande Félicité”, source de toute guérison. Il est sereinement assis sur une fleur de lotus, entouré d’un halo de lumière scintillante. 

Voyez-le comme infiniment chaleureux et aimant, tel un soleil de félicité, de réconfort, de paix et de guérison. Ouvrez votre cœur, laissez s’exprimer toute votre souffrance ; implorez de l’aide. Et récitez son mantra : OM AH HUM VAJRA GURU PADMA SIDDHI HUM.

Imaginez maintenant que d’innombrables rayons de lumière jaillissent de son être ou de son coeur, et que le nectar de Grande Félicité, emplissant la coupe crânienne qu’il tient dans ses mains, déborde de joie et se répand sur vous en un flot continu de lumière liquide, dorée et apaisante. Il coule dans votre coeur, le remplit et transforme votre souffrance en béatitude.

Ce flot de nectar venu de Padmasambhava de la Grande Félicité est la pratique merveilleuse que mon maître enseignait ; elle n’a jamais manqué de m’aider et de m’inspirer considérablement aux moments où j’en avais un réel besoin. 

  1. Venir en aide aux personnes décédées. 

En faisant inlassablement cette pratique, en récitant le mantra et en emplissant votre coeur de félicité, votre souffrance se dissipera lentement dans la paix confiante de la nature de l’esprit. Pénétré de joie et de bonheur, vous comprendrez que les bouddhas ne se trouvent pas en dehors de vous mais résident toujours en vous-même, indissociables de la nature de votre esprit ; et vous réaliserez que, par leur bénédiction, ils vous ont transmis le pouvoir et la richesse de la confiance en votre bouddha intérieur. 

A présent, en utilisant tout le pouvoir et la confiance que vous avez reçus de cette pratique, imaginez que vous dirigez cette bénédiction - la lumière de compassion apaisante des êtres éveillés - vers l’être cher disparu. Ceci est particulièrement important dans le cas d’un individu qui a subi une mort violente, car sa souffrance en est transformée et il reçoit la paix et la félicité. Dans le passé, vous vous êtes peut-être trouvé anéanti par votre chagrin, impuissant à aider votre ami décédé, mais maintenant, par cette pratique, vous pouvez vous sentir réconforté et encouragé, et vous découvrir le pouvoir de lui venir en aide. 

GARDER L’OUVERTURE DU COEUR

Ne vous attendez pas à des résultats immédiats ou à un miracle. Ce ne sera peut-être qu’un peu plus tard - ou beaucoup plus tard, au moment où vous vous y attendrez le moins - que votre souffrance commencera à se dissiper. Ne vous attendez pas à ce que la pratique “marche” et mette un terme définitif à votre souffrance. Soyez ouverts à votre chagrin comme vous l’êtes envers les êtres éveillés et les bouddhas dans votre pratique. 

Il se pourrait même que vous en veniez à ressentir une mystérieuse gratitude envers votre douleur, car elle vous offre une réelle opportunité de la regarder de près et de la transformer. Sans elle, vous n’auriez jamais pu découvrir le trésor de félicité caché dans la nature et les profondeurs de la souffrance. Les circonstances où vous souffrez le plus peuvent être celles où vous êtes le plus ouvert, et votre point de plus grande vulnérabilité peut être, en réalité, le lieu de votre plus grande force. 

Dites-vous par conséquent : Je ne vais pas essayer de me dérober à cette souffrance. Je vais l’employer de la manière la meilleure et la plus féconde possible, afin de grandir en compassion et de devenir plus utile à autrui.” Car, après tout, la souffrance peut nous enseigner la compassion. Si vous souffrez, vous saurez ce qu’éprouvent les autres quand ils souffrent, et si votre rôle est d’assister autrui, c’est votre souffrance qui vous fera trouver la compréhension et la compassion nécessaires.

Dès lors, quoi que vous fassiez, ne vous coupez pas de votre douleur ; acceptez-la et demeurez vulnérable. Si désespéré que vous vous sentiez, acceptez votre douleur comme elle est, car elle essaie, en réalité, de vous transmettre un présent inestimable : l’occasion de découvrir, grâce à la pratique spirituelle, ce qui se trouve au-delà du chagrin. “Le chagrin, écrivait Rûmî, peut être le jardin de la compassion.” Si vous êtes capables de garder l’ouverture du coeur en dépit de tout ce que vous endurez, votre souffrance pourra devenir la meilleure des alliées dans la quête de votre vie pour l’amour et la sagesse. 

Et ne savons-nous pas parfaitement qu’il est vain d’essayer de nous protéger de la souffrance et que, lorsque nous essayons de nous y soustraire, nous ne faisons que souffrir davantage et ne tirons pas de l’expérience la leçon qu’elle pourrait nous offrir ? Comme l’écrivait Rilke, le coeur protégé, qui n’a “jamais été exposé à la perte, naïf et confiant, ne peut connaître la tendresse ; seul un coeur mis à nu peut accéder au contentement ; libre, à travers tout ce à quoi il a renoncé, de jouir de sa maîtrise”.

 

METTRE UN TERME AU CHAGRIN ET EN TIRER UN ENSEIGNEMENT

Quand vous êtes submergé par la souffrance, efforcez-vous de trouver l’inspiration, grâce à l’une des nombreuses méthodes mentionnées au sujet de la méditation au chapitre 5, “Ramener l’esprit en lui-même”. L’une des plus puissantes que j’aie trouvées pour apaiser et dissiper le chagrin consiste à aller dans la nature. Rendez-vous par exemple près d’une cascade et contemplez-la, laissant vos larmes et votre chagrin couler au rythme de l’eau et vous purifier. Vous pourriez aussi lire un texte émouvant sur l’impermanence ou la souffrance, et laisser sa sagesse vous réconforter. 

Accepter le chagrin et y mettre un terme est réellement possible. Beaucoup ont employé avec profit une variante de la méthode que j’ai décrite pour terminer les “affaires non réglées”. Même si l’être qui vous était cher est mort depuis longtemps, vous vous apercevrez que cette méthode est très efficace. 

Visualisez tous les bouddhas et les êtres éveillés dans le ciel au-dessus et tout autour de vous. La lumière de leur compassion vous illumine de ses rayons ; ils vous apportent leur soutien et leur bénédiction. En leur présence, exprimez votre affliction et confiez à l’être aimé disparu ce que vous ressentez profondément au fond de vous.

Visualisez-le vous regardant avec une compréhension et un amour plus grands que ceux qu’il eut jamais de son vivant. Soyez convaincu de son désir de vous faire comprendre qu’il vous aime et vous pardonne quoi que vous ayez pu faire, et qu’il veut demander et recevoir votre pardon. 

Laissez votre coeur s’ouvrir, laissez vos paroles exprimer tout sentiment de colère ou toute blessure que vous avez pu retenir en vous ; abandonnez-les complètement. De tout coeur, dirigez votre pardon vers le défunt. Dites-lui que vous lui pardonnez et exprimez-lui le regret que vous éprouvez pour le mal que vous avez pu lui causer. 

Maintenant, ressentez de tout votre être que son pardon et son amour vous inondent. Ayez l’intime conviction que vous êtes digne d’être aimé et pardonné, et sentez votre chagrin se dissiper. 

A la fin de la pratique, demandez-vous si vous pouvez maintenant véritablement dire adieu à la personne et vous séparer d’elle. Imaginez-la qui se détourne et s’en va, puis terminez en effectuant le p’owa ou une autre pratique à l’intention des personnes décédées. 

Cette pratique vous donnera l’occasion d’exprimer encore une fois votre amour, de faire quelque chose pour le défunt, et de résoudre et purifier la relation au plus profond de vous. 

Vous pouvez tant apprendre, si vous le voulez, du chagrin et du sentiment de perte causés par le deuil ! Ils peuvent vous obliger à considérer votre vie sans détours et à y discerner un sens là où il ne s’en trouvait peut-être pas auparavant. Quand soudain vous vous trouvez seul, après la mort d’un être cher, vous pouvez sentir qu’une vie nouvelle vous est donnée et que l’on vous demande : “ Que vas-tu faire de cette vie ? Pourquoi désires-tu continuer à vivre ?”

La perte et le deuil peuvent également constituer un rappel sévère de ce qui peut arriver si, dans la vie, vous n’exprimez pas votre amour et votre estime, ou si vous ne demandez pas le pardon. Vous pourrez ainsi devenir plus sensible à ceux de vos proches qui sont en vie. Elisabeth Kübler-Ross soulignait : “Ce que j’essaie d’enseigner aux gens, c’est comme vivre de telle sorte qu’ils soient capables de dire ces choses pendant que l’autre peut encore les entendre.” Raymond Moddy, après une vie consacrée à la recherche sur l’expérience de proximité de la mort, écrivait : “ J’ai commencé à comprendre combien nous sommes tous proches de la mort dans notre vie quotidienne. Plus que jamais, maintenant, je prends soin que chaque personne que j’aime connaisse mes sentiments à son égard.”

Par conséquent, le conseil que je donnerais du fond du coeur à ceux qui sont submergés par le chagrin et le désespoir après la perte d’un être cher, c’est de prier pour recevoir l’aide, la force et la grâce. Priez que vous puissiez survivre et découvrir, dans toute sa richesse, le sens de la vie nouvelle qui vous échoit maintenant. Soyez vulnérable et réceptif, soyez courageux, et soyez patient. Plus que tout, examinez votre vie pour découvrir comment manifester désormais plus profondément votre amour pour autrui. 

 

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