L'ODYSSÉE AMOUREUSE & SEXUELLE III

LES PASSIONS

Du vague des Passions

Il reste à parler d’un état de l’âme qui, ce nous semble, n’a pas encore été bien observé : c’est celui qui précède le développement des passions, lorsque nos facultés, jeunes, actives, entières, mais renfermées, ne se sont exercées que sur elles-mêmes, sans but et sans objet.

Plus les peuples avancent en civilisation, plus cet état du vague des passions augmente ; car il arrive alors une chose fort triste : le grand nombre d’exemples qu’on a sous les yeux, la multitude de livres qui traitent de l’homme et de ses sentiments rendent habile sans expérience.

On est détrompé sans avoir joui ; il reste encore des désirs, et l’on n’a plus d’illusions.

L’imagination est riche, abondante et merveilleuse ; l’existence pauvre, sèche et désenchantée.

On habite avec un cœur plein un monde vide, et sans avoir usé de rien on est désabusé de tout.

 

L’amertume que cet état de l’âme répand sur la vie est incroyable ; le cœur se retourne et se replie en cent manières, pour employer des forces qu’il sent lui être inutiles.

Les anciens ont peu connu cette inquiétude secrète, cette aigreur des passions étouffées qui fermentent toutes ensemble : une grande existence politique, les jeux du gymnase et du Champ-de-Mars, les affaires du Forum et de la place publique, remplissaient leurs moments et ne laissaient aucune place aux ennuis du cœur.

Chateaubriand, Génie du christianisme (1802), II, III, chapitre 9.

 

 

Pour retourner à la page de collection contenant tous les produits sur l'odyssée amoureuse et sexuelle, cliquer ici