LA MÉDITATION 11

LES PENSÉES ET LES ÉMOTIONS : LES VAGUES DE L'OCÉAN

 

Quand les gens commencent à méditer, ils se plaignent souvent que leurs pensées se déchaînent, qu’elles n’ont jamais été aussi incontrôlables.

Je les rassure en leur disant que c’est bon signe. 

En effet, loin de signifier que vos pensées sont plus déchaînées, cela montre que vous êtes devenu plus calme : vous prenez finalement conscience de combien vos pensées ont toujours été bruyantes. 

Ne vous découragez pas, n’abandonnez pas. 

Quelle que soit la pensée qui s’élève, continuez simplement à demeurer présent à vous-même. 

Revenez constamment à votre respiration, même au beau milieu de la confusion. 

Dans les instructions anciennes sur la méditation, il est dit qu’au début les pensées se précipitent les unes après les autres, sans interruption, comme une cascade dévalant la pente escarpée d’une montagne.

A mesure que vous progressez dans la pratique de la méditation, les pensées deviennent semblables à un torrent coulant dans une gorge profonde et étroite, puis à un fleuve déroulant lentement ses méandres jusqu’à la mer. 

Enfin, l’esprit ressemble à un océan calme et serein que trouble seulement de temps à autre une ride ou une vague. 

Certaines personnes pense que, lorsqu’elles méditent, elles ne devraient avoir aucune pensée, aucune émotion. 

Si pensées ou émotions se manifestent, cela les contrarie, les fâche contre elles-mêmes et les persuade qu’elles ont échoué.

Rien n’est moins vrai. Ainsi que le dit un proverbe tibétain : “C’est beaucoup demander que de vouloir de la viande sans os et du thé sans feuilles.”

Tant que vous aurez un esprit, des pensées et des émotions s’élèveront. 

De même que l’océan a des vagues et le soleil des rayons, ainsi les pensées et les émotions sont-elles le propre rayonnement de l’esprit. 

L’océan a des vagues ; pourtant, il n’est pas particulièrement dérangé par elles : les vagues sont la nature même de l’océan. 

Les vagues se dressent, mais où vont-elles ? 

Elles s’en retournent à l’océan. 

D’où ces vagues viennent-elles ? 

De l’océan.

De même, les pensées et les émotions sont le rayonnement et la manifestation de la nature même de l’esprit. 

Elles s’élèvent de l’esprit, mais où se dissolvent-elles ?

Dans l’esprit.

Quelle que soit la pensée ou l’émotion qui surgit, ne la percevez pas comme un problème particulier. 

Si vous n’y réagissez pas de façon impulsive mais demeurez simplement patient, elle se déposera à nouveau dans sa nature essentielle. 

Quand vous comprenez ceci, les pensées qui s’élèvent ne peuvent qu’enrichir votre pratique. 

Mais tant que vous ne réalisez pas quelle est leur nature intrinsèque - le rayonnement de la nature de votre esprit - elles deviennent les germes de la confusion. 

Entretenez donc envers vos pensées et vos émotions une attitude bienveillante, ouverte et généreuse, car vos pensées sont en fait votre famille, la famille de votre esprit. 

Dudjom Rinpoché avait coutume de dire : “ Soyez à leur égard comme un vieil homme sage qui regarde jouer un enfant.”

Bien souvent, l’on ne sait que faire de sa négativité ou de certaines émotions perturbatrices. 

Dans le vaste espace de la méditation, il est possible d’adopter une attitude tout à fait impartiale envers pensées et émotions. 

Quand votre attitude change, c’est l’atmosphère toute entière de votre esprit qui s’en trouve modifiée, y compris la nature même de vos pensées et de vos émotions. 

Lorsque vous devenez plus conciliant, elles le deviennent aussi. 

Si vous n’avez pas de difficultés avec elles, elles n’en auront pas davantage avec vous. 

Quelles que soient les pensées et les émotions qui se manifestent, laissez-les donc s’élever puis se retirer, telles les vagues de l’océan. 

Permettez-leur d’émerger et de s’apaiser, sans contrainte aucune. 

Ne vous attachez pas à elles, ne les alimentez pas, ne vous y complaisez pas, n’essayez pas de les solidifier. 

Ne poursuivez pas vos pensées, ne les sollicitez pas non plus. 

Soyez semblable à l’océan contemplant ses propres vagues ou au ciel observant les nuages qui le traversent. 

Vous vous apercevrez vite que les pensées sont comme le vent : elles viennent puis s’en vont.

Le secret est de ne pas “penser” aux pensées, mais de les laisser traverser votre esprit, tout en gardant celui-ci libre de commentaire mental. 

Dans l’esprit ordinaire, nous percevons le flot de nos pensées comme une continuité ; mais en réalité, tel n’est pas le cas. 

Vous découvrirez par vous-même qu’un intervalle sépare chaque pensée de la suivante.

Quand la pensée précédente est passée et que la pensée suivante ne s’est pas encore élevée, vous trouverez toujours un espace dans lequel Rigpa, la nature de l’esprit, est révélé. 

La tâche de la méditation est donc de permettre aux pensées de ralentir afin que cet intervalle devienne de plus en plus manifeste. 

Mon maître avait un étudiant indien du nom d’Apa Pant. 

C’était un écrivain et un diplomate distingué qui avait occupé le poste d’ambassadeur de l’Inde dans les capitales de nombreux pays. 

Il avait même été le représentant du gouvernement indien à Lhassa, la capitale du Tibet, et avait également exercé ces fonctions pour un temps au Sikkim. 

Il pratiquait par ailleurs la méditation et le yoga et, chaque fois qu’il voyait mon maître, il ne manquait pas de lui demander “comment méditer”. 

Il était en cela fidèle à une tradition orientale selon laquelle l’élève pose sans relâche au maître une simple et unique question fondamentale. 

Apa Pant m’a raconté l’histoire suivante. 

Un jour, notre maître Jamyang Khyentsé assistait à une danse rituelle de lamas devant le Temple du Palais de Gangtok, la capitale du Sikkim. 

Il s’égayait des bouffonneries de l’atsara, le clown assurant les intermèdes comiques entre les danses. 

Apa Pant continuait à le harceler, lui demandant sans répit comment méditer. 

Tant et si bien que cette fois, lorsque mon maître lui répondit, ce fut d’une manière telle qu’il sut que la réponse était définitive : “ Écoute-moi bien, c’est ainsi : quand la pensée précédente est passée et que la pensée future ne s’est pas encore élevée, n’y a-t-il pas là un intervalle ?

  • Oui, répondit Apa Pant

  • Eh bien, prolonge-le : c’est cela, la méditation !”

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